Lors de la cérémonie de passation des pouvoirs entre les présidents Sarkozy et Hollande, le 15 mai 2012.Lors de la cérémonie de passation des pouvoirs entre les présidents Sarkozy et Hollande, le 15 mai 2012. Des proches, des collaborateurs ou des ennemis politiques de longue date reviennent point par point sur les attaques de Valérie Trierweiler contre François Hollande.

«La fonction présidentielle doit être respectée. […] Je ne laisserai pas mettre en cause la conception de mon action au service des Français, et notamment de la relation humaine que j’ai avec les plus fragiles, les plus modestes, les plus humbles, les plus pauvres, parce que je suis à leur service et parce que c’est ma raison d’être.» Vendredi, en marge du sommet de l’Otan qui se tient au pays de Galle, François Hollande a évoqué pour la première fois le livre publié jeudi par Valérie Trierweiler, la femme qui a partagé sa vie pendant neuf ans, dont les deux premières années du quinquennat à l’Elysée. La déflagration autour des «sans-dents», l’expression qu’utiliserait selon elle le chef de l’Etat pour désigner les pauvres, a contraint François Hollande à s’exprimer. A minima.

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Dans son récit «vrai», sa version des faits, Valérie Trierweiler mélange le privé et le public. Elle se sert de ressorts intimes pour dégoupiller des grenades à la face du Président. Son témoignage sur l’homme qu’elle connaît rejaillit sur l’image de l’homme d’Etat. La journaliste politique le savait évidemment, elle qui écrit à propos de ses derniers moments au côté de François Hollande, après le «Gayetgate» : «La machine médiatique est lancée. Elle dévore chaque bout de vie sans importance.» Cette fois, elle tient elle-même la plume et fait de ces moments des preuves à charge. «Plus les jours passent et plus ma colère grandit à l’encontre de François. Comment a-t-il pu tout gâcher ? Notre histoire et son début de quinquennat. Cette question, je me la pose en boucle. Lui, sans doute aussi. Il m’écrit pour se justifier : "j’étais perdu et je me suis perdu".» Un bel imbroglio. En partant de ses mots à elle, Libération a cherché à y voir plus clair.

«En réalité, le Président n’aime pas les pauvres»

Il a suffi de trois petites phrases à Valérie Trierweiler pour déclencher la foudre. C’est elle qui parle, page 229. «Il s’est présenté comme l’homme qui n’aime pas les riches. En réalité, le Président n’aime pas les pauvres. Lui l’homme de gauche, dit en privé, les "sans-dents", très fier de son trait d’humour.» Le missile est mortel. A la croire, non seulement Hollande dissimulerait un mépris de classe, mais aurait, en plus, une vraie faiblesse pour le luxe. «Il lui faut toujours le meilleur, rien que le meilleur, écrit-elle plus loin. Il aime les grands restaurants quand je préfère les bistrots, les grands hôtels quand moi je suis heureuse dans les petites auberges» (page 230). L’attaque est d’autant plus violente et caricaturale qu’elle ne correspond en rien, à ce que les proches, biographes ou ennemis de Hollande peuvent dire de lui. En Corrèze, ses adversaires, entre autres l’ex-président UMP du conseil général Jean-Pierre Dupont ou le conseiller général et président national du CDJA (syndicat agricole) Pascal Coste n’ont jamais rechigné à mener le combat avec l’ex-député socialiste, mais pas sur ce terrain-là.

«Aucun des deux n’a eu de remarque, de pique, ni rien de désobligeant visant sa personne», assure le journaliste de la Montagne Alain Albinet, fort de vingt-cinq ans de terrain. Fidèle depuis 1984, Bernard Poignant, l’ex-maire de Quimper aujourd’hui conseiller à l’Elysée, assure «n’avoir jamais entendu parler de manière méprisante, condescendante, insultante à l’égard de quiconque». De l’humour cinglant, sûrement. Des mauvaises blagues, peut-être. Mais, un cynisme de classe, non. Quant à son rapport à l’argent, elle fait sourire tous ses proches. «C’est tout le contraire, assure son ami Julien Dray. C’est quelqu’un de totalement détaché des questions matérielles, c’en est presque agaçant.» Il suffit de connaître un peu Hollande le Corrézien pour savoir que l’ancien député n’a jamais mené grand train. Son pied-à-terre était un pauvre studio d’étudiant. Et sa voiture, une Escort grise, faisait pitié. Et si il est vrai qu’il aime les bonnes tables, personne ne lui connaît un goût immodéré pour le luxe des cinq-étoiles. Elevé dans une famille bourgeoise (son père était médecin et sa mère assistante sociale), François Hollande n’a, c’est vrai, jamais été confronté à l’insécurité financière. L’argent n’a jamais été pour lui ni un souci ni un moteur. C’est ce qui peut désarçonner d’ailleurs nombre de patrons qui défilent dans son bureau : «Hollande n’a pas compris que derrière des entrepreneurs, il y a aussi des motivations financières», nous avait confié un PDG français.

«Le mensonge est ancré en lui comme le lierre se mêle à l’arbre»

Le mot «mensonge» est probablement celui qui revient le plus souvent tout au long du livre. «Depuis le début de la campagne, François me place en état d’insécurité permanente par ses mensonges, ses mystères et ses cachotteries […]. Alors il agit à sa manière, pas vu pas pris, en utilisant le non-dit l’esquive et le mensonge» (page 151). La trame de Valérie Trierweiler est claire, sans appel : François Hollande lui a menti, comme il ment au pays. «Combien de promesses m’a-t-il faites, jamais tenues ? Les mots, les paroles n’ont aucune valeur pour lui» (page 135). Le rapport au langage (et donc à la vérité) de François Hollande est un grand mystère. Dans une récente autobiographie Moi, président, Arnaud Montebourg confiait par exemple : «Hollande ment tout le temps. C’est pour ça qu’il est à 20% dans les sondages. Il ment. Il ment tout le temps. Depuis le début.» En privé, tous ses collaborateurs confessent la même étrangeté : le chef de l’Etat n’est pas un homme qui dit les choses. Il laisse dire plus qu’il ne ment. Ou alors par omission. «Hollande ne dit pas les choses en face, c’est vrai, reconnaît un ami. Mais il n’a jamais fait du mensonge une méthode.» Lâche probablement, mais ouvertement menteur, rarement. «Hollande ne dit pas blanc quand  c’est noir», renchérit un proche. Il se tait, laisse dire fait dire par d’autres. Avec lui, c’est plus le règne de l’ambiguïté plus que du mensonge. Hollande aime donner à son interlocuteur la possibilité de penser ce qu’il voudrait entendre. «Un oui de Hollande ne veut pas dire oui, mais peut être», assure un ministre. Il y aurait une langue hollandaise. «Il faut savoir le décrypter sinon on peut se méprendre», soutient un conseiller. Ce qui crée, depuis le début du quinquennat des incompréhensions, parfois des amertumes ou des colères irréconciliables.

«La tactique est une seconde nature»

En plus d’être un menteur, Hollande serait un cynique. Valérie Trierweiler appuie là ou ça fait mal : le président Hollande aurait trahi les promesses du candidat, qu’elle a aimé. «La formule choc du discours du Bourget est bien loin "mon ennemie, c’est la finance" est bien loin. Quel cynisme tranquille !» Elle décrit par ailleurs un homme de pouvoir tout entier tendu par des considérations tacticiennes. «Cette duplicité ne m’étonne pas, combien de fois je l’ai entendu lorsqu’il était premier secrétaire du PS encourager un candidat et tout faire ensuite pour qu’il n’ait pas l’investiture ? Organiser en sous-main des opérations de barrage à une élection en faisant porter le chapeau à d’autres ? C’est un politique par toutes les fibres de son corps. La tactique est une seconde nature» (page 71).

 

Rares sont les amis du chef de l’Etat qui pourraient contester ces quelques lignes. Elles décrivent, pour le coup, assez lucidement le manœuvrier sans scrupule que peut être François Hollande. Toute sa vie a été absorbée par la politique. Il ne pense qu’en rapport de force, les sentiments n’ayant finalement aucune place. «Pour lui, la classe politique est une meute de loups», confie un collaborateur. On se souvient que le chef de l’Etat, encore dans l’euphorie de la victoire, avait même envisagé de ne pas nommer son fidèle bras droit (et ami) Stéphane Le Foll au premier gouvernement Ayrault. Juste pour des questions d’équilibre des forces internes au PS.

«Il fuit ceux qui vivent des drames comme si le malheur était contagieux»

«Hollande refuse de parler de la mort, il ne sait pas faire avec les mourants et les grands malades. Il en a peur. Il fuit ceux qui vivent des drames comme si le malheur était contagieux» (page 172). Valérie Trierweiler n’hésite pas à donner du chef de l’Etat l’image d’un homme qui cherche avant tout à se protéger des désastres du monde. Quitte à se défausser de ses responsabilités. Pudique, secret, François Hollande ne vient jamais (ou très rarement) sur le terrain de l’intime, y compris avec ses amis. Ne parle pas ses problèmes de couple. Et encore moins de la mort. Jean-Pierre Jouyet, un intime parmi les intimes et aujourd’hui secrétaire général de l’Elysée, raconte qu’il n’a évoqué la question d’une vie après la mort qu’une seule fois dans leur vie commune. C’était en allant en voiture faire les courses dans un supermarché, un jour de vacances. L’ex-journaliste de Paris Match écrit page 137 : «Je sais qu’il n’arrive pas à parler de ce qui est intime, vraiment personnel.» Tout cela est parfaitement vrai. Cela en fait-il pour autant un homme qui déserte ses amis en cas de coup dur ? Ou de très grave maladie ? Non. Il se trouve que le chef de la cellule diplomatique de l’Elysée (et par ailleurs son ami) Paul Jean-Ortiz est décédé d’un cancer cet été. Hollande a été présent jusqu’au bout, dans la mesure de son emploi du temps. Un ami, dont la mère était mourante raconte : «Il n’y avait pas une semaine sans qu’il me demande des nouvelles, c’en était même agaçant.» Mais dans le combat politique Hollande redevient sans pitié. Un ami qui coule avec un scandale. Il ne bougera pas. De peur d’être éclaboussé.

«L’homme qui traite désormais ses collaborateurs avec mépris…»

Il y aurait un grand malentendu Hollande. Au début du quinquennat, la presse avait envie de voir dans le chef de l’Etat, un mou, louvoyant, sous influence de sa compagne. A lire les 320 pages écrites au lance-flammes par Valérie Trierweiler, on le découvre dur et méprisant. Avec elle. Mais aussi avec ses collaborateurs. Pour la journaliste, François Hollande se serait durci au fil des mois. A mesure de la dégradation de la situation économique et politique. «Je l’ai vu se déshumaniser jour après jour sous le poids des responsabilités et être gagné par l’ivresse des puissants incapables d’empathie…»

C’est un peu vrai. François Hollande s’agace beaucoup plus rapidement. Il lui arrive d’être cassant. Mais pas méprisant. Malgré ses dehors bonhommes ou empathiques, le Président ne fait pas dans le sentiment. Un ancien collaborateur explique : «Ce n’est pas un colérique, mais il a tout de même des côtés "mauvaise foi" qui sont classiques chez un homme politique. En tout cas, ce n’est pas quelqu’un qui humilie.» François Hollande peut être méchant. Il n’est pas non plus du genre à dire merci à un de ses conseillers. «Il aime l’émulation, il a un côté darwinien, assure un collaborateur. Il laisse les gens créer leur propre rôle. Si tu veux exister, tu dois affirmer une volonté de puissance, c’est comme ça que tu existes avec lui… Si ça marche, ça marche ; si ça marche pas, tant pis.» Un homme politique quoi. Comme Valérie Trierweiler en a côtoyé par dizaines durant toute sa carrière.

Grégoire BISEAU