Depuis qu'il a brigué un troisième mandat, le président est confronté à une opposition de plus en plus résolue, y compris au sein de son propre parti. Et semble prêt à faire courir tous les risques à son pays.

«Contrairement aux informations véhiculées par l’opposition radicale basée à l’étranger et par certains médias, le Burundi ne brûle pas. » Intervenant devant le Conseil de sécurité de l’ONU par visioconférence, le 9 novembre, Alain Aimé Nyamitwe, le ministre des Relations extérieures, s’est voulu rassurant. Si des violences sont effectivement recensées à Bujumbura, elles restent, selon lui, circonscrites à une poignée de quartiers « où des petits groupes de criminels armés s’activent encore ». Pour le régime, qui fait face depuis plusieurs mois à un mouvement de contestation de plus en plus déterminé, le problème vient d’ailleurs.

Du Rwanda, où, d’après Nyamitwe, les camps de réfugiés burundais serviraient au « recrutement de malfaiteurs » et à leur entraînement militaire. De la « prolifération de messages divisionnistes répandus à travers les réseaux sociaux », selon Pierre Nkurunziza. Des « lobbies belges et [de] leurs réseaux de l’Union européenne », pour Pascal Nyabenda, le président du CNDD-FDD, le parti au pouvoir.

Autant de discours qui contrastent avec l’inquiétude de la communauté internationale. Car, selon le secrétaire général adjoint aux affaires politiques de l’ONU, l’Américain Jeffrey Feltman, qui s’exprimait lors d’une session du Conseil de sécurité consacrée au Burundi, ce pays « est confronté à une crise politique profonde et à une escalade rapide de la violence » dont le régime Nkurunziza est largement responsable. « Les milices affiliées au parti au pouvoir continuent de terroriser la population, en coopérant parfois avec la police, qui a verrouillé des quartiers entiers », a ajouté Zeid Ra’ad Al Hussein, le haut-commissaire aux droits de l’homme. Au point que le Conseil de sécurité – dont la résolution n’était pas connue à l’heure où nous mettions sous presse – envisageait des sanctions contre le régime si celui-ci n’optait pas pour le « dialogue ».

 « Malheureusement, l’ONU en reste aux discours », déplore Pancrace Cimpaye, le porte-parole du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et de l’État de droit au Burundi (Cnared) – un mouvement en exil réunissant des opposants de toutes obédiences. « Ce qui nous fait peur, ce n’est pas la menace d’un génocide, témoigne un journaliste burundais. C’est que plus aucune autorité dans le pays ne prononce un discours apaisant. »

De fait, depuis l’intervention présidentielle du 2 novembre, donnant cinq jours aux « insurgés » de la capitale pour rendre les armes, les déclarations incendiaires se succèdent. Empruntant le registre des « médias de la haine » rwandais en 1994, la garde rapprochée de Nkurunziza avertit la population de « Buja » qu’elle encourt une répression à grande échelle dont les premières cibles seraient les bastions de la contestation (Mutakura, Cibitoke, Musaga). « Ma crainte, c’est qu’une opération armée des résistants donne un prétexte au régime pour s’adonner à une répression massive », analyse un représentant de la société civile.

Dans ce climat d’extrême tension, les habitants de Bujumbura – où toutes nos sources réclament désormais l’anonymat et où les journalistes des médias indépendants ne parviennent plus à exercer – restent suspendus à trois interrogations.

1. La crise peut-elle se régler par le dialogue ?

La communauté internationale veut y croire. Mais une solution négociée semble, pour l’heure, hors d’atteinte. Certes, Pierre Nkurunziza a institué une Commission nationale pour un dialogue « inclusif ». Le chef de l’État ne veut toutefois pas entendre parler d’un dialogue avec les opposants à son troisième mandat qui ont quitté le pays et qu’il assimile aux putschistes ayant tenté de le renverser le 13 mai. « La plupart des responsables du Cnared sont visés par des demandes d’extradition pour insurrection et participation à un coup d’État », résume Pancrace Cimpaye.

Ces opposants réclament, eux, l’ouverture de négociations. Mais la marge de manœuvre est étroite. « Nous acceptons de négocier avec Nkurunziza le calendrier et les modalités de son départ du pouvoir », indique Cimpaye, dont l’organisation entend mettre en place un gouvernement de transition qui serait chargé de préparer une nouvelle présidentielle. Une option totalement exclue par le régime.

2. Y a-t-il un risque de génocide ?

La crise est avant tout politique. Elle puise ses racines dans la décision contestée de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, et l’opposition à ce passage en force transcende les clivages ethniques ou partisans. Il est vrai cependant que, depuis le début de la crise, le président et ses fidèles attisent les réflexes ethniques des années 1990, en accusant à mots couverts leurs détracteurs d’être majoritairement tutsis – même si nombre d’opposants emblématiques sont hutus et viennent, pour certains, du parti présidentiel.

Récemment, les discours des autorités se sont faits plus menaçants, utilisant les métaphores qui avaient cours au Rwanda pendant le génocide de 1994. La garde rapprochée de Nkurunziza laisse ainsi entendre que les vrais « patriotes » (les Hutus) pourraient, demain, recevoir l’ordre de « travailler ». Autrement dit d’éliminer tous ceux qui seraient assimilés à des Tutsis ou à des opposants au troisième mandat.

Pour l’heure cependant, la répression (qui a fait quelque 300 morts depuis avril) est sans commune mesure avec la vague de massacres commis au Rwanda il y a vingt et un ans (10 000 morts par jour en moyenne). Selon l’intellectuel burundais David Gakunzi, Pierre Nkurunziza « a inventé le crime qui ne fait pas l’ouverture des journaux télévisés : le crime contre l’humanité à petites doses quotidiennes ». Reste que les Burundais menacés peuvent compter sur un garde-fou : l’armée, melting-pot de l’ancienne rébellion hutue et de l’ancienne armée tutsie, qui s’interposerait probablement en cas de massacres.

3. L’armée peut-elle basculer ?

Selon plusieurs sources convergentes, elle est profondément tiraillée entre pro- et anti-Nkurunziza. Les attentats commis en août, en pleine capitale, contre le tout-puissant général Adolphe Nshimirimana (qui y a laissé la vie), puis, en septembre, contre le chef d’état-major, Prime Niyongabo (qui en a réchappé in extremis), étaient de véritables opérations commando qui, selon une source sécuritaire, « n’auraient jamais été possibles sans de solides complicités au sein de l’armée ». Depuis le putsch manqué, un certain nombre de militaires ont pris le maquis. La menace qu’ils fassent un jour la jonction avec la fraction de l’armée hostile à Nkurunziza est réelle.

Le président « n’a plus confiance qu’en un petit nombre de fidèles, issus comme lui de l’ancienne rébellion », analyse un expert, selon qui « Nkurunziza ne peut compter que sur la police et les miliciens de son parti », les Imbonerakure. Il est d’ailleurs significatif que l’armée soit très en retrait dans les opérations de désarmement au sein des quartiers contestataires.

Échaudés par l’échec du putsch du 13 mai, qui s’explique notamment par des trahisons internes, les militaires issus des anciennes forces armées (quasi exclusivement tutsies, donc assimilées aux insurgés), de plus en plus marginalisés ces derniers mois, réfléchiront à deux fois avant de tenter un coup de force. Mais en cas de dérapage du régime et en l’absence de voie de sortie de crise, il n’est pas exclu qu’une fraction de l’armée bascule.

Avec le Rwanda, plus rien ne va

« Les gens meurent tous les jours, les cadavres jonchent les rues. Comment des dirigeants peuvent-ils s’autoriser à massacrer leur population du matin au soir ? » Une sortie qui a, provisoirement, laissé sans voix le régime burundais. « Il a estimé qu’il devenait inacceptable de se taire alors que, chaque matin, on fait état de tueries à Bujumbura et que les autorités, au lieu de calmer le jeu, jettent de l’huile sur le feu », commente un proche du président rwandais.

Depuis le début de la crise électorale, le régime Nkurunziza soupçonne le Rwanda de soutenir ses détracteurs et d’avoir fait des camps de réfugiés burundais situés sur son territoire des « pépinières de recrutement » pour la rébellion qui cherche à le destituer.

À Kigali, on admet simplement s’investir au sein de l’UA et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, tout en déplorant l’« échec lamentable » de la Communauté de l’Afrique de l’Est. « Nous n’hésiterons pas à demander le déploiement d’une force d’interposition ou d’observation », indique la même source.

Par Mehdi Ba   

Mamadou Lamarana LY pour maguinee.com