De tous les scrutins initialement prévus pour le mois d'octobre en Afrique à l'instar de celui du 11 octobre au Burkina-Faso (reporté au 22 novembre prochain, suite au Coup d'Etat "furtif" empêchant sa tenue) ; du 18 octobre en RCA (reporté sine die par le Gouvernement de transition de Catherine Samba-Panza, mais qui devrait vraisemblablement se tenir dans le courant du premier trimestre de 2016) ; ou encore du 25 octobre en Côte d'Ivoire, celui du 11 octobre en Guinée, fait désormais figure de test.

Les enjeux, liés à sa bonne tenue, sont, en effet, nombreux et lourds de sens et de conséquences quant aux responsabilités croisées de la Communauté internationale et de la part des acteurs régionaux, dont les principaux voisins - dont le Sénégal et son président Macky Sall qui exerce la Présidence de la CEDEAO. Pourtant, à mesure que l'échéance électorale approche, la situation politique se durcit, à l'aune d'accusations mutuelles des prétendants, agrémentées de la diffusion d'une vidéo montrant le président guinéen distribuant des billets à l'occasion d'un récent déplacement électoral en province. Le porte-parole de la Présidence a par la suite précisé que cette somme a été versée à des musiciens qui jouaient pour sa venue.

Par ailleurs, l'ouverture, en mai dernier, d'une enquête préliminaire par la justice française à l'encontre du fils du président, Mohamed Alpha Condé, qui vit à Dubaï bien qu'officiellement Conseiller à la Présidence, vient aussi confirmer que le bras de fer semble bel et bien engagé entre le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) au pouvoir et une opposition éclectique.  La signature, en août dernier, d'un accord politique entre le parti présidentiel et l'opposition n'aura ainsi résisté à l'été, le gouvernement actuel ne respectant aucun point de l'accord.

Dans ce contexte, la demande de l'opposition par la voie des sept principaux candidats, du report d'une semaine de l'élection présidentielle n'a peu de chance d'être entendue. L'opposition ne cesse de récuser l'impartialité de la Commission Electorale Nationale Indépendante eu égard à sa recomposition en octobre 2012, qui a réduit les quotas des partis de l'opposition et a abouti à la nomination à sa présidence d'un proche du pouvoir actuel. Situation extrêmement tendue donc, dont l'arbitre pourrait ne pas être les urnes, mais de nouveau la rue, comme en 2010 et, comme en témoignent les récentes manifestations qui ont coûté la vie à plus d'une soixantaine de manifestants depuis avril dernier.

Il reste, en effet, moins d'une semaine avant la tenue d'élections dont la Communauté internationale et plus singulièrement la Francophonie, devra garantir la bonne tenue. Ce pessimisme s'appuie sur des craintes légitimes. L'on sait que les partis d'oppositions ne voulaient participer aux élections présidentielles que si les élections communales, qui n'ont cessé d'être reportées depuis 2004, se déroulaient avant les élections présidentielles de l'automne 2015. Il n'en sera rien !

Dans ce contexte, certains évoquent même la possibilité d'un boycott de l'opposition.
On se souvient ainsi que le précédent scrutin, organisé, le 27 juin 2010, vit Alpha Condé l'emporter, après un deuxième tour reporté de quatre mois et fortement contesté par l'opposition, dont le candidat de l'Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo.

Crédité de seulement 18,25% à l'issue du premier tour, contre 43.69% à Cellou Dalein Diallo, Alpha Condé avait réussi à l'emporter, grâce à l'entrée en jeu, entre les deux tours, de la société sud-africaine Waymark chargée de la logistique du scrutin, au grand dam de l'opposition qui rappelait que ladite société s'était fait connaitre dans le cadre d'autres élections fortement contestées, dont celles qui s'étaient tenues au Cameroun, quelques mois plus tôt. Cette fois-ci encore, les critiques de l'opposition se sont focalisées sur le fichier électoral dont le nombre de potentiels votants ne reflèterait pas la réalité du corps électoral. L'opposition a également critiqué le délai d'acheminement et de publication des résultats provisoires, et la distribution des cartes électorales dans un pays où la carence en infrastructure routière est patente.

Les crises récurrentes que traverse le pays, dans un contexte récent et régional dans lequel les militaires ont été acteurs, posent ainsi la problématique du rôle des militaires dans le domaine de la sécurité nationale. On peut ainsi s'interroger sur le rôle des militaires guinéens, en leurs qualités de garants de la Constitution du 7 mai 2010.

Ces derniers, profondément réformés depuis la mise en place en 2009 d'un ambitieux programme de Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) en Guinée seront-ils ainsi dans la même posture de "gardiens du temple" ce weekend ? Quel rôle jouera la Garde présidentielle si d'aventure le gros de la troupe, décidait de suivre un éventuel mot d'ordre du Capitaine Dadis Camara, resté très écouté au sein des Forces armées et finalement "empêché" de revenir au pays et de se présenter à ce scrutin ?

L'on connait, désormais, les contacts établis par ce dernier pendant son exil avec l'opposition, Cellou Dalein Diallo et Bah Oury. Car le Capitaine putschiste a conservé de solides soutiens au sein de ce qu'il est convenu d'appeler le "lobby des Forestiers", du nom de sa région d'origine. La parenthèse "tragique" de la Junte militaire qui porta au pouvoir le Capitaine Moussa Dadis Camara, était venue confirmer le poids de l'institution militaire et ses non-dits ethniques.

Le poids des ethnicités est tellement fort qu'aucun effort d'analyse politique critique ne peut se faire aujourd'hui en Guinée sans qu'il soit pointé du doigt comme constituant une charge dirigée en faveur ou contre telle ou telle ethnie. Malheureusement, dans ces conditions, la constitution d'un projet national qui surpasse les divergences ethniques demeure complexe, d'autant que ces tensions ethniques très fortes, sont instrumentalisées à la fois par le pouvoir et l'opposition.

Le processus démocratique en Guinée depuis 1990, se déroule, ainsi, dans une situation socio-économique difficile, vis-à-vis duquel la tentation du repli identitaire et religieux n'est jamais très loin, d'où le risque de conflits et crises interethniques.

Le risque que ce climat d'affrontement pour l'heure verbal ne dégénère en confrontation ethnique existait bel et bien avant la présidence d'Alpha Condé, mais aujourd'hui, les énormes espoirs déçus qui ont été placés en lui n'ont fait qu'exacerber l'instrumentalisation ethnique et le climat d'insécurité qui en découle.

Les ferments résurgents qui accompagnent désormais la plupart des scrutins sur le continent africain (ethnicité, démographie, insécurités, poids des forces armées, prise en compte des doléances de la société civile, légitimité des mouvements d'opposition, rapports centre-périphérie, intégration économique et sociale des jeunes, lecture "inclusive" ou "exclusive" des constitutions...) devront tous, le week-end prochain, être scrutés à la loupe.

Le résultat Guinéen selon son déroulé servira de modèle ou au contraire de contre-exemple aux scrutins prévus en Afrique de l'Ouest et en Afrique Centrale au cours de l'année à venir.

Emmanuel Dupuy

Professeur de géopolitique, ancien Conseiller politique du Commandant de la Task Force Lafayette en Afghanistan, en 2011, Président de l'IPSE