Arrivé à point nommé sur le marché des énergies en Afrique et soutenu par son actionnaire de référence, le fonds d’investissement américain Brookstone Partners, l’opérateur Platinum Power (PP) se lance à l’assaut du combat titanesque pour combler le gap du déficit énergétique en Afrique. L’entreprise vient récemment de conclure une seconde augmentation de capital, qui accueille le fonds d’investissement PME Croissance, géré par le groupe d’investissement pan-africain AfricInvest.

Dans cet entretien croisé, Omar Belmamoun, directeur général de PP et Brahim El Jaï, Senior Partner et directeur général AfricInvest Morocco, relatent entre autres le parcours, la stratégie, les projets dans le pipe de PP… ainsi que la récente arrivée dans le tour de table du fonds PME Croissance

Les Afriques : Comment est né Platinum Power ?

Omar Belmamoun : L’histoire de Platinum Power est intimement liée à celle de Brookstone. J’ai rejoint ce fonds américain à New York en 2009, en tant qu’Associé, pour développer leurs activités en Afrique. Il s’agit d’un fonds de Private Equity, basé à New York, qui, avant 2009, n’enregistrait aucune présence en Afrique et en zone MENA.

Nous avons alors arrêté une stratégie dédiée à l’Afrique. Un continent qui a besoin d’infrastructures et particulièrement d’infrastructures énergétiques. Compte tenu de l’importance de l’énergie dans le développement, nous avons axé notre stratégie sur un fonds dédié au développement des énergies renouvelables, au Maroc d’abord, puis en Afrique.

Pourquoi le Maroc ? Rappelons tout d’abord que ce pays a décidé de mettre en place un Plan Energie renouvelable en 2010, faisant de la décennie 2010-2020, celle de l’ER et de l’environnement. Nous avions ainsi voulu nous placer en pionnier dans l’investissement dans les ER. Dès 2009, sa majesté le roi du Maroc lançait à Ouarzazate le Plan Solaire marocain. Hilary Clinton, alors secrétaire d’Etat américain, était également présente à cette occasion. Ce fut le déclic pour la création de Brookstone Africa, filiale basée à Casablanca. Elle a été la première société à avoir le statut CFC (Casablanca Finance City). Brookstone Africa a eu l’agrément OPCR (ndlr : Organisme de placement à capital-risque) pour gérer le fonds Emerald Fund Invest, destiné au développement de projets dans les ER (Ndlr : Energies renouvelables). Nous avons tenu à ce que le fonds soit africain et géré par des équipes et compétences africaines. Nous nous sommes alors attelés au recrutement d’experts et d’ingénieurs marocains dans l’énergie pour identifier des projets dans l’énergie, le solaire, l’éolien…

Quelles ont été les principales contraintes auxquelles vous avez été confrontés ?

Nous nous sommes rendus compte que la plupart des développeurs entamaient les démarches, sans avoir une approche intégrée qui prenne en compte la réalisation effective des projets et notamment la garantie du financement de ces projets. Nous avons finalement décidé de créer notre propre plateforme de développement, Platinum Power, premier opérateur privé africain spécialisé dans les énergies renouvelables, et offrant des solutions clés en main pour le développement, la conception, le financement et l’exploitation des projets.

 

Quelle a alors été votre stratégie ?

Omar Belmamoun : Nous avons adopté une approche de portefeuille projet, multi-pays et multi-technologies. En capitalisant sur deux ans d’expérience avec les développeurs, PP a réussi à combiner le métier de développeur et de fonds d’investissement, pour proposer une offre globale.

Qu’est ce qui distingue aujourd’hui Platinum Power ?

Omar Belmamoun : Nous avons industrialisé le développement des projets sur l’énergie en Afrique. Lorsque nous approchons pour la première fois un ministre de l’énergie d’un pays africain, nous mettons en avant notre capacité à garantir les financements, au travers de notre modèle économique et de nos équipes. Lorsque nous signons un engagement ou un protocole d’accord, c’est pour aller jusqu’au bout de la réalisation du projet, jusqu’à son exploitation, pas pour le revendre sur les marchés. En effet, la plateforme Platinum Power, soutenue par ses actionnaires, dispose des fonds et des ressources nécessaires pour réaliser les projets.

Aujourd’hui, lorsqu’on pense énergie renouvelable, on ne pense pas tout de suite à l’hydroélectricité. Comment en êtes-vous arrivés à développer des barrages hydroélectriques ?

Omar Belmamoun : Au début, nous étions axés sur l’éolien et le solaire. Nous avons initié nos premiers projets hydroélectriques au Maroc, dans le cadre de la loi 13-09 qui a libéralisé le marché des ER. Aujourd’hui, l’Etat marocain a installé plus de 1700 MW d’hydro. Un choix judicieux car contrairement à l’éolien et au solaire, l’énergie hydroélectrique ne nécessite pas d’investissement supplémentaire sur le stockage. De même qu’un barrage crée tout un écosystème autour de lui, avec des infrastructures routières, des ouvrages d’art, des activités génératrices de revenus sur des périmètres irrigués… il a un réel impact économique.

Brahim El Jaï : Il faut également rappeler que si l’investissement pour un barrage plus capitalistique, à la sortie, le coût du kWh est beaucoup plus abordable que pour le solaire et l’éolien.

Omar Belmamoun : C’est vrai. Elle est moins chère également parce qu’on contrôle le moment où on la vend… aux heures de pointe. C’est une aussi une énergie commode : après un délestage sur un réseau, les turbines des barrages sont plus rapides à redémarrer que les autres types de productions…

Quid de la suite de l’entrée en Afrique ?

Omar Belmamoun : En décembre 2013, nous avons eu les premières concessions privées de barrage hydroélectrique au Maroc. Sur cette lancée, nous avons alors développé notre savoir faire sur d’autres pays africains, tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Cameroun.

Nos projets sur ces pays se situent à différents stades d’avancement. Au Sénégal, nous avons créé Platinum Power Sénégal, qui avait obtenu l’agrément IPP (Indépendant Power Producer) et nous sommes en contact actuellement avec la Senelec.

Nous venons de signer un accord cadre d’achat d’électricité avec le gouvernement camerounais pour le projet de développement du complexe Makay (400MW).

En Côte d’Ivoire, nous sommes en train de développer un projet de deux barrages à Gao et à Tayaboui d’une capacité de 300 MW.

Sur l’ensemble de ces projets nous prenons le risque développement en faisant du clé-en-mains : lorsqu’un gouvernement nous propose un site, nous envoyons le bureau d’études pour la préfaisabilité ; après obtention du feu vert de ce bureau d’études, on signe le protocole d’accord comprenant la durée, le tarif, les obligations de PP et de l’Etat…

Tout cela est rendu possible grâce à la présence dans notre tour de table d’investisseurs solides avec une approche d’investissement long terme, et de la confiance des institutionnels.

Quid de l’arrivée d’AfricInvest ?

Omar Belmamoun : L’arrivée d’AfricInvest, fort de son réseau et de sa présence sur le marché africain depuis plus de 20 ans, via le fonds PME Croissance marque un signal fort pour la crédibilité de Platinum Power. En effet le fonds PME Croissance géré par AfricInvest, compte parmi ses investisseurs institutionnels l’État marocain (au travers de la CCG), l’État allemand (au travers de la KfW), la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence Française de Développement (AFD) ainsi que des institutionnels marocains de premier ordre. Ces entités telles que KfW ou l’AFD ont ainsi indirectement validé le processus d’impact environnemental de PP, le volet éthique de ses équipes et la pertinence de son modèle économique : ceci est un réel gage de confiance.

Combien de temps avez-vous hésité avant de vous décider ?

Brahim El Jaï : Nous avons eu des pourparlers pendant un bon semestre, ce qui est relativement court pour un investissement de cette nature. C’était d’autant plus juste que ce fut notre premier investissement dans les ER. Une hésitation qui n’a pas été longue, dans la mesure où certains de nos investisseurs, parmi lesquels la SFI, filiale de la Banque mondiale, nous ont fortement recommandé ce secteur. Au-delà des objectifs de rentabilité, nous avons l’ambition de contribuer au développement. PP est un pionnier et nous nourrissons la même ambition dans notre domaine. Si PP réussit, alors nous aurons joué notre rôle de catalyseur. Au-delà des gains et de la rentabilité, l’intervention de PME Croissance, permet de crédibiliser tout ce qui a été fait par les équipes de PP et de renforcer son modèle économique. Nous nous sentons donc dans notre rôle.

Vous venez à peine d’entrer dans la capital de PP. songez-vous déjà à la sortie ?

Brahim El Jaï :Dans notre métier, quand on rentre, on doit se projeter sur la. Néanmoins, on pense au développement et compte tenu du caractère stratégique de ce secteur en Afrique, il est nécessaire que les exemples se multiplient, et qu’une telle expérience puisse être déclinée de façon pérenne.

Propos recueillis par Daouda MBaye à Casablanca