Le président russe Vladimir Poutine est arrivé vendredi après-midi en Crimée pour participer à Sébastopol, base historique de la Flotte russe de la mer Noire, aux célébrations du 9 mai de la victoire sur les Nazis, ont indiqué les médias publics russes. Il y a passé en revue les navires de la Flotte.
Debout en imperméable noir sur le pont d'une vedette blanche, avec à son côté le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, il est passé successivement devant une dizaine de navires militaires russes, congratulant grâce à un porte-voix les équipages au garde-à-vous en uniforme d'apparat, qui lui ont répondu par des "hourra, hourra, hourra" à l'unisson, selon les images de la télévision russe .
Vladimir Poutine a déclaré que le retour de la Crimée à la Russie rétablissait la "vérité historique", s'exprimant devant des milliers d'habitants de Sébastopol. "L'année 2014 va rester dans les annales comme l'année qui a vu les peuples qui vivent ici décider avec fermeté d'être avec la Russie, confirmant leur fidélité à la vérité historique et à la mémoire de nos ancêtres", a dit le président russe au cours des célébrations de la victoire de 1945 sur les nazis.
Un déplacement symbolique qui déplaît aux Occidentaux
Cette visite sur un territoire "temporairement occupé" est une "violation flagrante de la souveraineté ukrainienne" et "cette provocation confirme une nouvelle fois que la Russie ne veut pas rechercher d'issues diplomatiques" aux tensions entre les deux pays, a réagi le ministère des Affaires étrangères ukrainien dans un communiqué. De son côté, la Maison Blanche a estimé que la visite de Poutine en Crimée ne ferait "qu'exacerber les tensions". "Nous n'acceptons pas l'annexion illégale de la Crimée par la Russie", a déclaré à l'AFP Laura Lucas Magnuson, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.
Cette visite du président russe est "inappropriée", a estimé de son côté le secrétaire général de l'Otan Anders Fogh Rasmussen. "Nous considérons toujours la Crimée comme territoire ukrainien et à ma connaissance, les autorités ukrainiennes n'ont pas invité Poutine à visiter la Crimée, donc de ce point de vue, sa visite en Crimée est inappropriée", a-t-il déclaré. "Nous considérons l'annexion de la Crimée par la Russie comme illégale, illégitime, et nous ne la reconnaissons pas", a rappelé le secrétaire général de l'Alliance atlantique.
Vladimir Poutine, qui a assisté vendredi matin au traditionnel défilé militaire sur la Place Rouge à Moscou, se rendait pour la première fois dans la péninsule ukrainienne dont le rattachement en mars à la Russie est dénoncé par les Occidentaux, qui accusent Moscou d'attiser le séparatisme dans l'est de l'Ukraine. Alors que des médias évoquaient cette visite cette semaine, la chancelière allemande Angela Merkel avait regretté une telle initiative.
russie
Après le rattachement de la Crimée à la Russie et dans un contexte de fortes tensions entre la Russie et l'Ukraine, sa venue peut être perçue comme un nouveau signe glacial dans le jeu de chaud-froid que joue Moscou depuis plusieurs semaines. D'autant plus que la Russie commémore ce vendredi la victoire soviétique face aux Nazis, auxquels les séparatistes pro-russes comparent régulièrement le nouveau pouvoir ukrainien.
Vladimir Poutine a salué la "force toute-puissante du patriotisme" russe lors de la parade militaire de 11.000 hommes et de dizaines de blindés, lance-missiles, hélicoptères et bombardiers lourds à Moscou commémorant la victoire de 1945. Le 9 mai "est une fête où triomphe la force toute-puissante du patriotisme", a-t-il lancé.
"La volonté de fer du peuple soviétique, son courage et sa fermeté ont sauvé l'Europe de l'esclavage", a-t-il poursuivi. "C'est notre pays qui a traqué les fascistes jusque dans leur tanière, a obtenu leur défaite complète et définitive, a vaincu au prix de millions de victimes et de terribles épreuves". La Russie célèbre la victoire des Alliés dans la Seconde guerre mondiale le 9 mai - la capitulation ayant été signée tard le soir du 8 mai à Berlin, soit le 9 mai heure de Moscou.
Plusieurs morts et des blessés à Marioupol
Dans le même temps, les régions de l'est et du sud de l'Ukraine s'enfoncent dans la violence. Des combats ont notamment éclaté vendredi dans la ville portuaire de Marioupol (sud-est), entre forces armées loyalistes ukrainiennes et militants pro-russes, faisant des morts et des blessés, selon les médias ukrainiens. Selon les informations d'un média, impossibles à vérifier dans l'immédiat, huit militants prorusses ont été tués. L'administration locale a de son côté annoncé trois morts, avant que le ministère de l'Intérieur ukrainien ne communique le bilan de vingt rebelles et un policier tués. "Vingt terroristes ont été tués, quatre capturés. Une bonne partie des assaillants se sont volatilisés dans la ville en abandonnant leurs armes. Nos pertes s'élèvent à un mort et cinq blessés. Les pertes dans les forces armées sont en train d'être établies. Le bâtiment (de la police locale) est en flammes", a annoncé le ministre de l'Intérieur, Arsen Avakov, sur sa page Facebook. Un groupe d'une soixantaine de "terroristes" munis d'armes automatiques a tenté de s'emparer du bâtiment de la police. Les forces de l'ordre ont reçu des renforts et un "véritable combat" a suivi, souligne le ministre.
marioupol
Selon des correspondants de l'AFP à Marioupol (450.000 habitants), le bâtiment a été en partie détruit et se trouvait encore en proie aux flammes en milieu de l'après-midi. Les pompiers tentaient d'éteindre l'incendie. Deux corps portant des vêtements civils et recouverts de couvertures étaient allongés près du bâtiment. "Il y a eu énormément de tirs", a témoigné un homme, qui s'est présenté sous le nom d'Alexandre. "J'ai chargé dans un taxi un jeune homme blessé à la tête, j'ignore s'il a survécu ou pas", a-t-il dit à l'AFP.
Célébrations discrètes en Ukraine
En Ukraine, les célébrations ont été plus discrètes. A Kiev, une courte cérémonie a eu lieu dans un parc dominant la ville en présence des anciens présidents Viktor Iouchtchenko, Leonid Koutchma et Leonid Kravtchouk, et du Premier ministre Arseni Iatseniouk. Selon un journaliste de Voice of Russie et de la BBC, ils ont été hués par une partie de la foule.
"Il y a 69 ans nous avons combattu avec la Russie contre le fascisme et nous avons gagné. Aujourd'hui, la Russie a déclenché une guerre contre l'Ukraine", a déclaré Arseni Iatseniouk, appelant Moscou à "cesser de soutenir les terroristes qui tuent des civils en Ukraine". V;adimir Poutine avait adopté mercredi un ton plus conciliant que de coutume à l'égard de Kiev. Il avait proposé un scénario de "dialogue" prévoyant l'arrêt de l'opération militaire en cours dans l'Est en échange d'un report du "référendum" sur l'indépendance prévu dimanche dans l'est de l'Ukraine, mais les séparatistes ont décidé jeudi de maintenir cette consultation.
Poursuite de l'opération "antiterroriste"
Le gouvernement ukrainien a de son côté répété jeudi qu'il n'avait nullement l'intention de renoncer à rétablir l'ordre dans l'Est, alors qu'il est engagé depuis le 2 mai dans une opération militaire qui s'est déjà soldée par des dizaines de morts. Selon Interfax, une quarantaine d'hommes armés ont tenté jeudi soir de prendre d'assaut un poste-frontière dans la région de Lougansk en lançant des cocktails molotov, mais ont battu en retraite après que des garde-frontières ont ouvert le feu. La tension va demeurer vive en Ukraine à l'approche du scrutin présidentiel anticipé du 25 mai, qui doit permettre l'élection du successeur de Viktor Ianoukovitch. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, doit se rendre lundi à Kiev pour manifester le soutien de l'UE à l'Ukraine avant l'élection. Les enjeux sont également économiques, la Russie ayant annoncé jeudi qu'elle ne livrerait plus son gaz à l'Ukraine que sur prépaiement, en raison d'une dette gazière de 3,5 milliards de dollars dont Kiev conteste le montant. Cette mesure peut menacer les livraisons de gaz à l'Europe, qui importe le quart de son gaz de Russie, dont près de la moitié via l'Ukraine.
Succès populaire pour les insurgés à Slaviansk
A Slaviansk, fief des rebelles pro-russes, des tirs et des détonations ont été entendus dans la nuit de jeudi à vendredi. Trois blindés légers, dont un avec drapeau russe, ont défilé vendredi matin dans le centre ville, dont la place centrale était noire de monde. La rébellion armée a remporté un succès symbolique dans son bastion encerclé par les troupes ukrainiennes : une foule dense et en liesse lui a en effet manifesté son soutien à l'occasion de la Fête de la victoire sur l'Allemagne nazie.
slaviansk
Dans un bref discours ponctué d'une série de "bravo !", "hourra !" et "merci !", Viatcheslav Ponomarev, l'homme fort de cette ville de l'est de l'Ukraine, a souligné l'importance d'avoir l'appui de la population dans son action "en faveur d'une indépendance totale" de la région minière du Donbass. Et ce à l'avant-veille d'un référendum d'"autodétermination" des plus controversés. Pour la circonstance, l'immense place centrale était noire de monde, et ce contrairement au 1er mai, quand seules 200 personnes avaient participé à "une marche" organisée par les insurgés. Il faut dire qu'entre-temps, il y a exactement une semaine, les autorités ukrainiennes ont déclenché aux abords immédiats de Slaviansk une vaste "opération antiterroriste" très mal perçue par la majorité des habitants, parmi lesquels plusieurs ont déjà été tués par des balles perdues.
"On va se débarrasser de la peste fasciste !", comprendre le gouvernement de Kiev, a ajouté Viatcheslav Ponomarev, costume noir et chemise bleu pâle, qui s'exprimait au micro, devant la statue de Lénine. Derrière lui, treize anciens combattants, dont sept en uniforme, étaient sagement alignés, drapeaux rouges flottant au vent. L'un d'eux, le lieutenant-colonel à la retraite Anatoli Poplinski, le torse couvert de médailles, a raconté à l'AFP qu'il avait fait partie du contingent soviétique dépêché en 1956 en Hongrie pour y réprimer une révolte contre le régime communiste local.