Entre deux avions, Me François Meyer jongle avec des dossiers pesant plusieurs milliards de dollars. L’avocat français représente l’Etat du Sénégal et du Mali dans les négociations concernant la réfection du chemin de fer qui doit relier les deux capitales. Mille trois cents kilomètres de voies ferrées et trois milliards de dollars d’investissements ! Un dossier sensible piloté depuis trois ans par son cabinet installé boulevard Saint-Germain à Paris.

« Mon travail consiste aussi bien à conseiller les Etats africains qu’à trouver les bons interlocuteurs, que ce soit l’Exim bank, la banque chinoise d’import-export, pour le financement, que China Railway pour la construction. Nous organisons les rencontres entre les différentes parties, les négociations, la rédaction des contrats et nous nous appuyons pour cela sur les techniciens des deux pays », explique François Meyer. Ces contrats sont avant tout politiques. « C’est le président du Sénégal lui-même qui a souhaité travailler avec une entreprise chinoise. Il en a fait part au président chinois lors de sa visite à Pékin. Lorsqu’il y a une volonté politique, tout va très vite », assure encore Me Meyer.

Pourquoi alors faire appel à un avocat français ? D’abord il y a la question de la langue, le français et l’anglais s’imposent dans les négociations. Ensuite le droit français est identique à celui en vigueur en Afrique francophone, et il ressemble beaucoup au droit chinois. « La Chine nous comprend très bien et beaucoup de techniciens chinois ont fait leurs études en France, à l’école Centrale ou à Polytechnique », note l’avocat parisien.

Mais la valeur ajoutée du cabinet c’est sa capacité à faire intervenir des entreprises hexagonales dans ces dossiers. « Nous pouvons mettre en concurrence des entreprises françaises qui amènent leurs technologies. Le chemin de fer chinois est largement inspiré des technologies française et allemande », assure François Meyer. Depuis quelques mois à Pékin, c’est le « mercato » des robes noires. « De grands cabinets chinois nous font des appels du pied, ils ont besoin d’avocats français pour négocier auprès d’eux leurs investissements en Afrique », explique Grégory Louvel, un avocat français installé depuis dix ans à Pékin.

 « On parle souvent de sociétés qui n’ont aucune expérience des transactions internationales et n’ont aucune idée des exigences et des impératifs que cachent ce type de contrats, explique ce jeune avocat de 38 ans, parfaitement sinophone. Ils arrivent en Afrique, la fleur au fusil, et ne se rendent pas compte que la partie adverse est, elle, déjà bien préparée. »

Il faut dire qu’en Chine, les petits arrangements avec la loi sont monnaie courante. Mais lorsque l’on négocie des investissements de plusieurs milliards pour l’exploitation de mines, la construction de barrages ou de voies ferrées, il faut s’entourer de précautions. Les questions environnementales, par exemple, n’ont jamais été une priorité en Chine. « En Afrique, il faut tenir compte de l’opinion publique et dans nos contrats nous avons désormais des clauses très précises concernant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ou l’emploi de travailleurs locaux », explique Me Louvel.

Un système que découvrent souvent les entreprises chinoises qui doivent se plier aux règles internationales pour des investissements auxquels sont généralement associés le FMI et la Banque mondiale. Les avocats français sont donc en première ligne de cette Chinafrique. L’un de ces experts en droit présente un dossier de 150 pages détaillant par le menu les implications d’un investissement chinois de plusieurs milliards en Afrique centrale. « Les négociations prennent des années. Tout le monde veut profiter de cette vague d’investissements chinois dans les infrastructures et l’exploitation des matières premières. » Passionnant et parfois explosif ! « Ce n’est pas un mariage d’amour, mais un mariage de raison, assure Me Louvel. Il faut que les entreprises françaises se rendent compte qu’il est nécessaire de travailler avec les Chinois et monter des coentreprises pour investir en Afrique. La Chine peut décrocher sur le continent des contrats que les Français ne peuvent pas obtenir seuls. » Une manne aussi pour les cabinets d’affaire français.

Par Sébastien Le Belzic (Pékin, Chine)