Comment analysez-vous la décolonisation française en Afrique subsaharienne ?

La décolonisation française en Afrique subsaharienne est souvent présentée comme la décolonisation réussie de la France, tout spécialement quand on la compare à la décolonisation en Indochine et en Algérie. Ce que cette expression signifie, c’est qu’il s’agirait d’une «transition organisée de manière réussie» qui s’est produite dans la plupart des cas dans le calme (à part au Cameroun) et sans violence. Mon argument est qu’il s’agit là d’une reconstruction des événements a posteriori sans grands liens avec les événements qui se sont réellement produits. Il n’y avait pas de stratégie de décolonisation française murement réfléchie pour l’Afrique subsaharienne.

Cependant, s’il n’y avait pas de stratégie française clairement élaborée derrière ce transfert de pouvoir relativement paisible, nous devons nous poser des questions sur les circonstances historiques qui ont rendu cette transition possible. A mon avis, trois facteurs expliquent ce phénomène. Premièrement, il faut souligner le rôle des interactions entre politiciens français et africains qui partageaient certaines valeurs et parlaient la même «langue» du développement et de la modernisation et qui ont ainsi réussi à coopérer lors de la transition du pouvoir (des dirigeants politiques d’Afrique subsaharienne ont été élus à l’assemblée nationale sous la IVe République et dans certains cas sont même devenus ministres). La culture politique française républicaine a joué un rôle important à cet égard.

 

Deuxièmement, la décolonisation était comme une lame de fond pendant ces années ; la plupart des nations étaient en faveur de la décolonisation et le contexte international était dans ce sens relativement peu important tant aucune intervention extérieure n’aurait eu aucune chance de déstabiliser un processus déjà enclenché.

Finalement, nous devons prendre en compte l’engagement continu des politiciens français pour une présence française en Afrique subsaharienne après les indépendances, quelque chose qui était vu comme essentiel pour le statut de la France en tant que grande puissance et qui jouait un rôle fondamental pour assurer une transition paisible. Bien entendu, ceci se trouve à l’origine d’autres problèmes pour le futur, mais c’est une autre question.

Quelle est votre lecture des relations franco-africaines sous la présidence Hollande ?

Pendant sa campagne électorale, Hollande a très peu évoqué sa politique africaine, n’a fait aucune promesse concrète et ne s’est pas rendu sur le continent. Ainsi, lors de son élection en mai 2012, il ne disposait que d’un nombre limité d’idées sur le contenu de sa politique africaine : non-interférence dans les affaires africaines, fin des pratiques de la Françafrique et refus de dialoguer avec des dirigeants africains qui n’embrassaient pas les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance. Mais il n’avait pas défini de stratégie ou politique africaine. Au delà de l’affirmation d’idées générales sur ce que la France ne devrait pas faire, il n’y avait pas de stratégie définie clairement qui puisse former la base d’une politique africaine cohérente.

De plus, il n’était pas le premier président à promettre la fin de la Françafrique. Sarkozy avait fait une promesse similaire avant son élection en 2007. À mon avis, la combinaison entre une approche libérale et normative promouvant l’économie néolibérale, la démocratie et la bonne gouvernance (portant déjà en elle un potentiel de contradictions et d’incohérences) et l’échec de la réforme des institutions responsables de la politique africaine signifient que la politique africaine de Hollande n’a pas changé fondamentalement par rapport à celle de son prédécesseur. Le discours politique a changé mais le contenu de la politique beaucoup moins.

Il n’y a toujours pas d’alternative institutionnelle à l’ancienne «cellule Afrique» de l’Élysée ce qui a pour résultat que la communauté en charge de la politique africaine reste fragmentée. La responsabilité pour cette politique est partagée entre différents acteurs, chacun ayant ses propres objectifs et cultures institutionnelles. C’est le cas depuis la fin de la guerre froide et la situation n’a pas changé sous la présidence de Hollande.

Le changement qui s’est produit viendrait plutôt de la déconstruction de la Françafrique que de la construction d’une alternative politique concrète. Si j’ai raison, cela pose d’importantes questions sur la viabilité réelle de la nouvelle approche de Hollande car il y a d importantes divergences entre tous les acteurs en charge de la politique africaine que ce soit en termes de buts politiques, de priorités ou sur la façon de dépenser les fonds limités pour mettre en œuvre une politique africaine.

De nombreux historiens britanniques et américains travaillent sur l’histoire des pays francophones. Leur recherche diffère-t-elle de celle de leurs collègues français ?

Ces dernières années, je pense que la contribution la plus caractéristique de la part des historiens britanniques et américains de l’Afrique francophone a été associée avec ce qui est parfois appelé le «tournant colonial» dans les French Studies. L’un des éléments principaux de ce «tournant colonial» a été le renouveau de la réflexion sur le concept de «république» pour étudier l’histoire de France. Ces auteurs explorent les contradictions entre les politiques progressistes appliquées en métropole et les violences et discriminations caractéristiques de la situation coloniale.

Un autre apport du «tournant colonial» est l’exploration de la présence du passé colonial dans la France contemporaine sous des angles à la fois culturels et sociologiques. Un exemple serait celui de la «colonie rapatriée» incarnée par les administrateurs coloniaux formés dans un contexte colonial et «recyclés» en France après 1960 pour participer à l’encadrement des populations immigrées venues des anciennes colonies (voir à ce sujet Naylor, 2013). Cela ne veut pas dire que les historiens français n’ont pas examiné cette dimension historique, mais ce sont les historiens britanniques et américains qui, à mon avis, en ont été les pionniers.

Propos recueillis par Vincent Hiribarren