Le modèle occidental est désormais aux prises avec des modèles concurrents inspirés par les nouveaux partenaires de l’Afrique, analyse un collectif. Il n’aura échappé à aucun observateur averti qu’il est aujourd’hui devenu difficile de tenir les marchés africains pour acquis aux sociétés européennes. Le modèle occidental, dont l’attrait semblait naguère inébranlable, est désormais aux prises avec des modèles concurrents inspirés par les nouveaux partenaires de l’Afrique, au premier rang desquels la Chine et l’Inde. Plus d’un siècle d’échanges biaisés, mais aussi d’admirations croisées et de proximité culturelle, a pu créer l’illusion d’une fluidité inaltérable entre un Occident sûr de son modèle et une Afrique enthousiasmée par les savoir-faire qui devaient lui assurer un avenir prospère.

Des idées héritées, souvent refoulées

Nous croyons au contraire qu’il ne faut pas se méprendre sur ce point : nombre d’acteurs économiques en Afrique – pas tous il est vrai –, des entreprises aux institutions de financement du développement sont conditionnés par ces idées héritées, souvent refoulées, mais qui n’en demeurent pas moins prégnantes. Combien parmi ces chefs d’entreprises, investisseurs et commerçants, qui parfois se forment aux subtilités de la négociation à la chinoise, à l’étiquette méticuleuse des monarchies du Golfe, aux finesses des équilibres politiques d’Amérique latine, se sont posé les mêmes questions concernant la manière d’aborder leurs partenaires africains ?

Parce que la langue, l’histoire partagée, le contact quotidien des diverses diasporas donnent un sentiment de facilité et de connivence aux échanges entre Africains et Européens, il est aisé d’oublier que cette proximité culturelle est souvent le fait des Africains eux-mêmes. En effet, ce sont plus souvent eux qui parlent les langues européennes que les Européens qui parlent bamiléké, yoruba, bambara, fon, tshiluba ou swahili. Nombreux sont les Africains qui connaissent les grandes dates de l’histoire de l’Occident et trop peu nombreux les Européens qui peuvent citer celles des grandes civilisations africaines, de la culture de Nok aux grands royaumes et empires d’Aksoum, du Grand Zimbabwe, du Kanem ou du Mali. Ces connaissances ou « sensibilités » sont-elles utiles pour faire du commerce ? Pas nécessairement, peuvent penser certains. Et même s’ils estiment la part culturelle importante, ils maintiennent qu’il convient désormais avant tout de bâtir des relations essentiellement sur la base du respect de la règle et des intérêts mutuels.

L’un des piliers du futur ordre mondial

Ceci est vrai en toutes circonstances et notamment dans les échanges purement commerciaux, mais ne faudrait-il pas trouver un équilibre entre la règle et les intérêts mutuels et le respect des cultures, des sensibilités, des attentes des uns et des autres ? Un équilibre qui prend aussi en compte les populations, leurs représentants impliqués dans les grands projets d’investissements et la nécessaire « social license to operate » ? Le monde change, de même que les grands équilibres sur lesquels il a reposé depuis le XIXe siècle. La Chine renaît, l’Inde avance, la Corée, le Brésil et la Turquie s’étendent et entraînent dans leur sillage la résurgence d’un esprit de coopération entre les pays du « Sud » qui possèdent maintenant les moyens de leurs ambitions. Quant à l’Europe, face à ces Goliath économiques et démographiques, elle ne pèsera dès 2030 plus qu’environ 6 % de la population mondiale. Le niveau de vie de sa population, limité par ses ressources naturelles et démographiques, sera plus que jamais dépendant des ressources commerciales et financières obtenues à l’extérieur.

Et l’Afrique, aujourd’hui souvent considérée à tort comme acteur mineur de l’économie mondiale, mais dont les ressources humaines et naturelles en font l’un des principaux piliers du futur ordre mondial, est déjà le terrain de concurrence privilégié des entreprises de tous les continents – l’exemple des terres rares, incontournables dans le monde électronique, est significatif.

L’Europe a les atouts pour bâtir un axe fort avec l’Afrique

Le respect des règles est un préalable essentiel dans cette relation de confiance, mais n’est qu’un préalable pour des investissements sur le long terme. Les entrepreneurs occidentaux doivent pour beaucoup d’entre eux faire preuve de plus d’égards pour les réalités locales, les usages, les lois coutumières, l’histoire et les sensibilités de leurs partenaires. Cela est d’ailleurs encore plus vrai pour tous les investisseurs extérieurs, qu’ils soient chinois, russes ou brésiliens. Les Européens devraient justement bénéficier de leurs relations et connaissances historiques du continent que n’ont pas les « nouveaux investisseurs ». Et c’est pourtant l’inverse qui aujourd’hui se passe car ils sont trop souvent enfermés par cette approche historique. L’Europe a tous les atouts pour bâtir un axe fort avec l’Afrique. Et nous sommes persuadés qu’une nouvelle relation, ancrée dans une meilleure et vraie connaissance des valeurs, des philosophies, des sensibilités, des attentes, notamment des populations, ainsi que des manières de faire et de dire, rouvriront aux investisseurs non seulement les portes, mais aussi les cœurs et la confiance de leurs partenaires africains.