DÉCRYPTAGE. Aux antipodes l'un de l'autre, Lionel Zinsou et Patrice Talon s'affronteront le 20 mars. Lionel Kpenou-Chobli nous éclaire sur leurs programmes. 4,7 millions de Béninois devront départager les deux protagonistes du second tour de cette présidentielle béninoise.

Qui de Lionel Zinsou ou de Patrice Talon succédera à Boni Yayi à la présidence de la République ? Le premier arrivé avec 27,11 % des voix est un banquier d'affaires franco-béninois de 61 ans, reconnu sur la scène internationale, et qui s'est jeté tardivement dans le marigot politique, poussé, semble-t-il, par le chef d'État sortant et motivé, l'a-t-il martelé tout au long de sa campagne, par l'ambition de servir son pays. Le second, 58 ans, totalise 23,52 % des suffrages conquis sur le leitmotiv de la rupture avec l'ancien système - dont il a pourtant été le principal financier pendant près d'une décennie. Mais tel le vizir d'Iznogoud, de la bande dessinée, Patrice Talon rêve d'être calife à la place du calife, et ce, depuis qu'il a été mis au ban par son ancien mentor politique Boni Yayi. Lui l'assure, la main sur le coeur, n'avoir aucun désir de vengeance personnelle. À l'horizon, donc, aucun point de convergence, si ce n'est qu'ils promettent de placer le Bénin et ses 10,6 millions d'habitants sur la voie de l'émergence. « Comparaison n'est pas raison », dit un adage, mais y participe. L'analyste béninois Lionel Kpenou-Chobli a regardé les grandes lignes des propositions des deux qualifiés au second tour de la présidentielle.

Lionel Zinsou : un programme, une équation

C'est avec un projet de société intitulé « Le Bénin gagnant » comprenant plus de 40 propositions que l'ancien président de PAI Partners (l'un des plus importants fonds d'investissement européens) se présente à la magistrature suprême. Nommé Premier ministre en juin 2015, il est soutenu par une alliance dite « républicaine » comprenant le parti au pouvoir les Forces cauris pour un ­Bénin émergent (FCBE), mais aussi et surtout deux partis historiquement ancrés dans l'opposition : la Renaissance du Bénin (RB) et le Parti du renouveau démocratique (PRD). Concrètement, voici quelques points clés à maîtriser.

L'actuel Premier ministre met l'accent sur l'accélération de la croissance économique avec comme objectif une plus juste redistribution sociale. En effet, sur la décennie Yayi, la croissance n'a pas permis de faire reculer la pauvreté. Au contraire, le nombre de pauvres a augmenté malgré des investissements massifs dans les infrastructures de base.

Atteindre un rythme de + 10 % de croissance dès 2017 pour viser + 60 % du PIB en 2021

Le taux de 10 % de croissance économique dès 2017 reste pour nous un objectif illusoire. La croissance ne se décrète pas : elle s'obtient par la revue des fondamentaux de l'économie. Le secteur industriel n'existe pas au Bénin. L'agriculture est primitive et nécessite de fortes réformes. Les pays africains qui ont atteint la croissance à deux chiffres ces dernières années ont vécu des contextes particuliers : sortie de crise en Côte d'Ivoire, sortie de crise et découverte d'hydrocarbures au Niger par exemple. Un taux de croissance de 7 à 8 % à l'horizon 2018 serait déjà une avancée considérable.

Engager un budget d'investissements de plus de 5 000 milliards de FCFA en 5 ans pour la réalisation des projets

1 000 milliards de CFA par an durant le quinquennat, c'est possible. Premièrement, en améliorant le taux de consommation des aides au développement déjà disponibles. Ensuite, en diversifiant les sources de financement des projets de développement qu'il s'agisse des partenaires ou des modalités d'intervention. Enfin, l'amélioration du climat des affaires, la revue du cadre réglementaire du partenariat-public-privé et surtout la mobilisation des investisseurs locaux permettra d'atteindre ce volume d'investissement. La moitié des 1000 milliards se trouve déjà au Bénin. Il s'agit de donner confiance aux Béninois. N'oublions pas la diaspora qui injecte près de 65 milliards chaque année dans l'économie nationale. Si le Sénégal, la Guinée et d'autres ont pu mobiliser entre 5 000 et 8 000 milliards de CFA, le Bénin peut le faire. Mais Lionel Zinsou devra d'abord se crédibiliser auprès de la communauté nationale en réalisant les promesses de la Table ronde de Paris.

Bâtir un fonds souverain doté de plus de 400 milliards de FCFA, augmenter la capacité d'absorption des financements disponibles et mettre en place des instruments financiers innovants

Le fonds souverain est un montage financier. C'est une affaire de techniciens. Il s'agit en termes simples de ne plus laisser dormir les ressources disponibles en interne, mais de les mobiliser pour les rendre utiles au développement du pays. Mieux, elles peuvent servir à constituer une base pour lever plus de financements extérieurs, comme le permet un mécanisme comme le SACC en Scandinavie. Seulement, les Béninois, traumatisés par l'affaire de la BCB (faillite du système bancaire à la fin des années 90) puis par le scandale ICC Services en 2011, seront certainement frileux. Je vois déjà les syndicats se lever contre le transfert des excédents des comptes sociaux à l'actif d'un tel fonds. Il faudra de la diplomatie et de la rigueur.

Que retenir ?

La redistribution des richesses est la clé de la cohésion sociale et de la sécurité nationale. La solidarité ne doit plus être un principe mais une politique publique. C'est l'élément de différenciation principal du projet de société de Lionel Zinsou. Il gagnerait à insister sur ce volet. Dans le domaine de l'accès à la santé, dans le secteur des filets sociaux (allocations aux ménages pauvres), dans le domaine de l'énergie et de l'eau, il faut communiquer plus et mieux.

Patrice Talon, de la gestion d'une affaire à l'autre

À 58 ans et autour d'un projet de société axé sur « la rupture », Patrice Talon en habile manoeuvrier a réussi là où on ne l'attendait pas. Encore une fois. En effet, cet homme d'affaires tenté un temps par une carrière de pilote a fini roi du coton de son pays. Longtemps proche du chef de l'État, dont il avait financé les deux campagnes présidentielles en 2006 et 2011, il a été accusé d'être le cerveau d'une tentative d'empoisonnement du président en 2012, puis d'être impliqué dans une tentative d'attentat à la sûreté de l'État en 2013. À l'époque, Patrice Talon était déjà poursuivi au Bénin dans plusieurs affaires de malversations et avait fui son pays. En mai 2014, Thomas Boni Yayi lui a finalement accordé son pardon. Son programme est en grande partie lié à son histoire personnelle, mais pas que...

Patrice Talon se présente aux Béninois comme un futur président de transition et de réformes. Il veut changer le modèle politique et refonder l'administration pour gagner la compétition du développement économique. Sa démarche est engageante : réussir à briser les chaînes de l'inertie.

Rétablir un état respectueux des principes de la démocratie

Sur le volet constitutionnel, le mandat unique de 7 ans sera un véritable sujet de débats. Ce que ne souligne pas M. Talon, c'est que cette réforme ne saurait s'appliquer à son éventuel premier mandat de 5 ans. Sur le rééquilibrage des pouvoirs, c'est une attente forte, notamment pour ce qui est de l'indépendance de la justice et de la gestion de l'accès aux médias. Le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et d'une Cour des comptes séduit indubitablement les hérauts de la bonne gouvernance. Reste à savoir si le chef de l'État saura pousser la rationalisation jusqu'à l'encadrement des nominations et la gestion des nombreux conflits d'intérêts qui minent la confiance entre politiques et populations. Il est également dommage que l'épineuse question de la gestion et du contrôle de l'exécution des marchés publics soit occultée.

Dynamiser les secteurs créateurs de richesse et d'emplois

Curieusement, la plateforme programmatique de Patrice Talon développe assez superficiellement les questions de développement économique. Une grande place est accordée à l'économie réelle (agriculture, artisanat, services), mais sans une vision d'ensemble suffisamment développée quant à la gestion des grands agrégats. Peut-être une stratégie, sans doute un manquement tant nous restons soumis aux critères de convergence régionaux et d'intervention des partenaires étrangers.

Investir massivement en priorisant cinq filières agricoles (coton, maïs, riz, ananas, anacarde) pour une agriculture moderne et de grande envergure qui sera le principal levier de notre développement économique. Les pôles de spécialisation agricole répondent à la nécessité de développer une économie locale qui assure l'autosuffisance, apporte un revenu décent, sert l'activité industrielle et permet l'exportation. Il faudra toutefois que le candidat précise le mode de gestion de ces pôles et le rôle dévolu aux petits exploitants afin d'éviter un développement agricole par le haut sans grand impact sociocommunautaire. On regrettera aussi la faiblesse de l'approche développement durable.

Que retenir ?

Le programme de Patrice Talon propose pour chaque sujet un diagnostic et des solutions. Il y a un chiffrage et souvent un chronogramme. Les méthodes de management issues du secteur privé semblent parties pour intégrer l'environnement gouvernemental. Mais quid de la réforme de l'administration ? Quid du dialogue social ? Globalement, « Le Nouveau Départ » pèche également sur les volets Décentralisation et gestion du secteur informel. Deux sujets de grande importance.

Les Béninois pourront se faire une idée plus précise et dans le détail des deux programmes, lors du débat inédit sur la chaîne nationale entre les deux hommes, le 17 mars prochain.

* Lionel Kpenou-Chobli est analyste, et directeur associé au sein du cabinet d'intelligence économique Optimum Consulting.