Dans la bande de Gaza le 31 mars. En devenant membre de la Cour pénale internationale, l'Autorité palestinienne pourrait poursuivre Israël pour crimes de guerre. La Palestine compte désormais officiellement parmi les 123 Etats membres de la Cour pénale internationale (CPI). Mais l’Autorité palestinienne ne déposera pas, du moins dans l’immédiat, de « plainte » visant la colonisation israélienne, comme l’avait annoncé début mars le ministre des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki. « Nous ne cherchons pas la vengeance, mais la justice », a-t-il déclaré lors d’une conférence à l’Institut des sciences sociales (ISS) de La Haye, aux Pays-Bas, la veille de la cérémonie d’adhésion de la Palestine à la Cour, le mercredi 1er avril.

Une cérémonie symbolique, qui lui permet néanmoins d’agir désormais en qualité d’Etat au sein d’une organisation internationale et d’y disposer d’un droit de vote, contrairement à Israël, qui s’oppose à cette juridiction établie par traité et chargée de poursuivre les auteurs de crimes de masse commis depuis 2002. Ramallah a adhéré à la Cour le 1er janvier, à la suite de l’échec d’une résolution du Conseil de sécurité visant à fixer un calendrier pour la reconnaissance de l’Etat palestinien et la fin de la colonisation israélienne. Israël et les Etats-Unis avaient vivement condamné la démarche, déniant à la Palestine la qualité d’Etat qui lui ouvrait les portes de la CPI.

Le gouvernement israélien a aussi gelé les rentrées fiscales, de 106 millions d’euros mensuels, collectées pour le compte des Palestiniens. Une décision sur laquelle il est revenu vendredi, après, selon la presse israélienne, un accord secret selon lequel Ramallah n’ouvrirait pas de nouveau front devant la Cour ciblant spécifiquement la politique de colonisation.

La procureure Fatou Bensouda peut bien sûr ouvrir une enquête sans requête des Palestiniens, mais les demandes sur un point précis ont plus de chance d’aboutir.

« Bordure protectrice »

Parallèlement à sa demande d’adhésion à la Cour début janvier, Ramallah a demandé à la procureure d’enquêter sur les crimes commis depuis le 13 juin 2014, visant ainsi l’opération « Bordure protectrice » conduite par l’armée israélienne à Gaza durant l’été. Mme Bensouda a lancé un examen préliminaire, étape préalable à l’ouverture éventuelle d’une enquête. Mais la procédure s’annonce très longue, et l’issue incertaine. Une première demande palestinienne avait été rejetée en avril 2012, au motif que la Palestine n’était pas un Etat. L’obstacle est désormais surmonté, mais la procureure devra encore analyser tous les aspects légaux, et, « juridiquement, il est possible de rétablir l’incompétence de la Cour et de déclarer l’affaire irrecevable », estime un expert en droit international. D’autant que la bataille politico-judiciaire qui s’annonce pourrait aussi cibler la Cour.

En mars, le ministre des affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, promettait de faire du lobbying pour convaincre les Etats de ne pas contribuer au budget de la juridiction. Pour l’instant, « il n’y a pas de signe », dit-on du côté de diplomates occidentaux à La Haye. « Ils peuvent utiliser toutes les pressions qu’ils veulent, mais ils ne peuvent pas stopper la Cour », assure de son côté Nabil Abouznaid, chef de la délégation de Palestine aux Pays-Bas.

« Aujourd’hui, nous sommes à armes égales » avec les Israéliens, assure Nabil Abouznaid, chef de la délégation de Palestine aux Pays-Bas.

Les pressions israéliennes ont débuté dès l’été. Alors que le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, tentait d’obtenir l’aval de toutes les factions avant de rejoindre la CPI, diplomates et experts rappelaient que des responsables palestiniens, en particulier du Hamas, pourraient aussi être ciblés. « Peut-être que nous serons aussi visés par des enquêtes, mais nous n’avons pas peur », assure Nabil Abouznaid. « Aujourd’hui, nous sommes à armes égales, assure le diplomate, ils peuvent être mes voisins de prison à Scheveningen », le centre de détention de la Cour, « mais cette fois, ils ne détiennent pas les clés ».

« L’Etat de droit, ou la loi de la jungle ? »

Si on s’efforce de part et d’autre de calmer le jeu, la société civile multiplie les initiatives. Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR), une ONG basée à Gaza, a « rencontré la procureure de la CPI, le comité d’enquête, des rendez-vous ont eu lieu avec des avocats et des organisations », dit-il. Lors de la guerre de Gaza, les militants du Centre ont rassemblé preuves et témoignages. « Ce n’est pas seulement pour les Palestiniens, mais pour toute la région : que veut le monde pour notre région ? L’Etat de droit, ou la loi de la jungle ? » Des responsables israéliens ont, de leur côté, menacé d’entamer des procédures tous azimuts. L’Israel Law Center, réputé proche du gouvernement, s’en est fait une spécialité depuis plusieurs années, obtenant des condamnations pour terrorisme devant des tribunaux américains notamment.

L’organisation a déjà adressé trois plaintes à la Cour, visant notamment Mahmoud Abbas et le chef du Hamas, Khaled Mechaal. Tous possèdent la nationalité jordanienne, rappelle l’Israel Law Center et sont, à ce titre, passibles de la CPI. La Jordanie est membre de la Cour, ce qui autorise la procureure à enquêter sur les crimes de guerre commis par ses ressortissants, quel que soit le lieu. La Cour n’est pas tenue de donner suite aux centaines de plaintes qu’elle reçoit chaque année, mais l’initiative démontre bien que la guerre judiciaire ne fait que commencer.