Blaise Compaoré a régné sur le Burkina Faso plus d'un quart de siècle. Il n'a fallu que quelques jours pour le détrôner. Qu'est-ce qui a précipité la chute de l'ancien président ? Le « printemps noir », comme l'a baptisé un opposant, accouchera-t-il d'une junte ou d'une transition démocratique ?

    « Blaise dégage »

Une première secousse fond sur le pouvoir mardi 28 octobre. A l'appel de l'opposition, des centaines de milliers de manifestants, mobilisés contre le projet de loi qui permettrait au président Compaoré de briguer un cinquième mandat, défilent dans les rues de Ouagadougou. Le « beau Blaise », comme on le surnomme, dirige depuis vingt-sept ans le petit pays d'Afrique de l'Ouest. Pour la foule, il est temps d'en finir.

Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir en 1987 à la faveur d'un coup d'Etat, marqué par l'assassinat jamais élucidé du président Thomas Sankara. Après quatre mandats, il envisage de se présenter à nouveau en novembre 2015. A 63 ans, le chef d'Etat est confiant. Il suffit que le Parlement entérine la révision de l'article 37 de la loi fondamentale. Un article déjà modifié en 1997 et en 2000 pour permettre à l'inamovible président de participer aux élections.

Dans les cortèges, les protestataires arborent des pancartes aux slogans sans équivoque. Cette fois pourtant, la manipulation ne passe pas. Depuis le 21 octobre et la présentation du projet de loi, l'opposition bat le rappel. Plusieurs manifestations sont organisées avant celle, d'une rare ampleur en Afrique subsaharienne, qui bouleverse la capitale burkinabée mardi. Dans les cortèges, les protestataires arborent des pancartes aux slogans sans équivoque contre le « coup d'Etat constitutionnel » : « Judas, libérez les lieux », « Blaise dégage »...

    Burkina Faso : l’armée consolide son pouvoir pas à pas

    Au terme d'une journée marquée par une grande confusion, l'armée a paru consolider son pouvoir dimanche. Elle a pris le contrôle de la place de la Nation, lieu emblématique de la révolte populaire qui a chassé vendredi le président Blaise Compaoré. Quelques milliers de manifestants s'y étaient rassemblés le matin. L'accès leur est désormais interdit. Puis des soldats ont investi la radio-télévision nationale (RTB). Un ancien ministre, le général Kouamé Lougué, et la dirigeante d'un petit parti de l'opposition, Saran Sérémé, avaient tenté de s'auto-proclamer chef de la transition. Sans succès. En fin de journée, le nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Isaac Zida, a reçu les responsables de l'opposition. Et en soirée, son porte-parole, le colonel Auguste Barry, a lu un communiqué réaffirmant l'engagement des militaires à mettre en place un régime de transition 'par un large consensus'. En assurant que le pouvoir 'ne l'intéresse pas' et que 'seul l'intérêt supérieur de la Nation prime'. Un engagement auquel la population ne croit pas. Ni la communauté internationale. La mission de médiation internationale, formée des Nations unies, de l'Union africaine et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), réclame une transition conduite par un civil. Sous peine de sanctions.Près de 60 % de la population burkinabée a moins de 25 ans. Dans les cortèges, de nombreux manifestants n'ont jamais connu d'autre régime que celui de l'ancien putschiste. « Quand je suis né, Blaise Compaoré était déjà président, explique au Monde l'un d'eux. Je viens d'obtenir ma maîtrise en droit, je ne trouve pas de travail, mais lui est toujours là. C'est normal ? ».

   Le président acculé

Malgré sa longue expérience du pouvoir, le dirigeant ne sent pas venir le coup de balai. La grève générale annoncée le 29 octobre est peu suivie, Blaise Compaoré pense pouvoir garder la main. Des centaines de policiers et de militaires sont déployés autour des ministères, des ambassades et surtout du Parlement. A la veille du vote sur le projet de loi controversé, les députés de la majorité dorment sous haute protection dans un hôtel voisin de l'Assemblée nationale.

A proximité du parlement incendié, le 31 octobre, à Ouagadougou.

Mais les événements se précipitent jeudi 30 octobre. La mobilisation tourne à l'émeute, faisant quatre morts confirmés de source médicale (une trentaine selon l'opposition). En début de matinée, le cordon sécuritaire qui ceinture l'Assemblée nationale cède sous la pression des manifestants. Une partie du bâtiment est incendiée. Egalement pris d'assaut, les locaux de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) sont pillés et les transmissions coupées. L'opposition vise les maisons de proches du gouvernement et des symboles du pouvoir. Près de la demeure du frère du président, François Compaoré, des gardes tirent sur la foule. A Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays (sud-ouest), un incendie ravage la mairie et le siège du parti présidentiel.

Le chaos s'installe. Dans l'après-midi, l'armée annonce la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée. Mais Blaise Compaoré n'entend pas se laisser ainsi évincer : lors d'une allocution télévisée, il appelle à des pourparlers avec l'opposition et se dit prêt à former un gouvernement de transition. Pas question de démissionner. Le président, qui renonce à son projet de réforme constitutionnelle, veut transmettre le pouvoir démocratiquement à l'issue de son mandat. Une concession balayée par l'opposition. « Son départ est le préalable à toute discussion sur une autre forme de transition », assuré Zéphirin Diabré, l'un des leaders de la contestation.

    L'armée prend le pouvoir                                  

Acculé, Blaise Compaoré finit par céder. Vendredi 31 octobre, il annonce dans un communiqué qu'il quitte la présidence. « Le grand baobab est tombé, terrassé par la population », exulte un jeune fonctionnaire, cité par l'AFP. Dans la foulée, le chef d'état-major de l'armée, le général Nabéré Honoré Traoré, fait savoir qu'il assumera les « responsabilités de chef de l'Etat ».

Seulement, le militaire, considéré comme trop proche de l'ancien président, est contesté au sein même de l'armée. Les hauts gradés lui préfèrent le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida. L'officier protestant de 49 ans, numéro deux de la garde personnelle, est choisi « à l'unanimité », samedi 1er novembre, pour conduire la transition institutionnelle et politique.

Les militaires affirment que la transition se fera de manière démocratique, mais l'opposition civile s'alarme de voir le pouvoir passer des mains d'un putschiste à celui d'une junte militaire. « La victoire issue de l'insurrection populaire appartient au peuple, et par conséquent la gestion de la transition lui appartient légitimement et ne saurait être en aucun cas confisquée par l'armée », écrivent les partis de l'opposition et les associations de la société civile dans un communiqué

    Incertitudes

Contesté dans la rue dès dimanche, le nouveau pouvoir tient bon. Des soldats de l'ancienne garde présidentielle reprennent le contrôle du bâtiment de la RTB et investissent la place de la Nation, n'hésitant pas à tirer en l'air et lancer des grenades lacrymogènes pour faire fuir les milliers de manifestants rassemblés.

Droit dans ses bottes, Isaac Yacouba Zida donne des ordres depuis les bâtiments du Conseil économique et social, transformé à la hâte en quartier général, où le nouveau pouvoir reçoit les diplomates étrangers. L'officier assure pourtant que le pouvoir ne l'intéresse pas. « C'est un pasteur, il ne s'accrochera pas. Il veut seulement prêcher la concorde », promet un membre de sa garde rapprochée.

D'après notre journaliste à Ouagadougou, militaires et représentants des partis d'opposition – beaucoup de caciques de l'ancien régime entrés en dissidence – pourraient en effet s'entendre. D'autant que la communauté internationale, Etats-Unis en tête, fait pression pour que l'armée transmette rapidement le pouvoir aux autorités civiles. Lundi soir, l'Union africaine – réunie pour un Conseil de paix et de sécurité en Ethiopie – s'est, elle, chargé de fixer une date butoir, donnant quinze jours aux forces armées pour rendre le pouvoir aux civils, faute de quoi elle imposerait des sanctions. Loin de ces tractations, Blaise Compaoré, lui, a trouvé refuge en Côte d'Ivoire. Son ami Alassane Ouattara a mis à sa disposition une luxueuse résidence d'Etat à Yamoussoukro, où il réside depuis vendredi.