Voilà une Organisation internationale de la Francophonie (OIF) arrivée à l'âge de la maturité - 44 ans -, qui se choisit pour thème "Femmes et Jeunes en Francophonie: vecteurs de paix, acteurs de développement" et qui, au moment de l'élection de son nouveau Secrétaire général, a en face d'elle un parterre de candidats qui détonnent.

On ne retrouve, en effet, sur la liste des aspirants pour ce poste fort convoité - le titulaire a rang de Chef d'État - qu'une seule personnalité dont l'âge est sous la barre des 60 ans. La même personnalité est également la seule femme dans le match à cinq qui départagera du 29 au 30 novembre prochain à Dakar, ceux qui ont tous pour vocation de faire autant, sinon mieux que l'ancien président sénégalais Abdou Diouf.

Quiconque suit un tant soit peu le feuilleton de la course à l'OIF aura vite compris qu'allusion est faite ici à l'ancienne gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, à qui se mesurent depuis maintenant plusieurs mois, quatre Africains. Sont en lice depuis le Sud, l'écrivain et ancien ministre congolais (Brazzaville) Henri Lopès (77 ans), l'ancien ministre mauricien et actuel dirigeant de la Commission de l'Océan Indien Jean-Claude de L'Estrac (66 ans), l'ancien président du Burundi Pierre Buyoya (64 ans) et le sénateur équato-guinéen Augustin Nze Nfumu (63 ans). L'ancien président malien Dioncounda Traoré (76 ans) a pour sa part retiré sa candidature.

"Entre hommes"?

Passe encore la question de l'âge, si tant est que les prétendants affichent un bilan de santé qui ne jette l'ombre d'aucune inquiétude (Qui veut un Adelaziz Bouteflika au 19-21 avenue Bousquet à Paris?). Ce qui énerve ma fibre féministe, lorsque je passe en revue les prétendants au fauteuil occupé par le successeur de Boutros Boutros Ghali, c'est le fait qu'une seule femme, ait manifesté de l'intérêt pour solliciter la confiance des grands électeurs. La tradition, on le sait depuis le Sommet de Hanoi en 1997, veut que le Secrétaire général soit un représentant du Sud, plus précisément de l'Afrique, d'où sont issus plus de la moitié des membres de l'organisation. Son principal collaborateur, l'Administrateur général, doit quant à lui venir du Nord, où se situent les principaux bailleurs de fonds de l'OIF, au premier rang desquels la France et le Canada.

Puisqu’aucune ne règle ne réserve le fauteuil aux hommes, comment expliquer qu'au Sud de l'équateur, aucune femme n'ait eu de l'intérêt pour le poste? Moi qui, dans ce même blog, faisais hier une fière chandelle aux femmes d'Afrique de plus en plus nombreuses à afficher leurs ambitions dans les cénacles jadis "réservés" à la gent masculine, ne peux que déplorer cette carence au moment précis où l'OIF clame sa volonté de placer les problématiques touchant les femmes et les jeunes au centre de son action à l'orée du XXIème siècle.

L'équation africaine

Loin de moi la prétention qu'une femme, une Africaine, soit dotée par une sorte de prédisposition naturelle, de qualités qui feraient d'elle une bonne gestionnaire à ce niveau de responsabilités. Le contre-exemple de la présidente de la Commission de l'Union africaine, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, obnubilée par ses ambitions présidentielles dans son pays et particulièrement transparente à Addis-Abeba, suffit à battre en brèche un tel argument. Il n'en reste pas moins qu'il existe en Afrique des femmes de grande qualité, intellectuelles, politiques, diplomates, voire des artistes, qui rempliraient les critères de compétence, d'influence, de charisme et bien d'autres, pour voir leur pays d'origine porter leur candidature au poste convoité. Où sont-elles passées?

Même en s'éloignant des figures comme la très controversée Calixthe Beyala, écrivaine camerouno-française, chantre de l'anti-néocolonialisme qui aurait songé à se présenter avant de se rétracter, ou la très respectée Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la culture et militante altermondialiste malienne, grande pourfendeuse de ce qu'elle-même appelle "la fabrique des laquais de Paris", il y a certainement des personnalités qui auraient pu obliger les dirigeants africains à donner une chance à une femme.

Dans l'imaginaire collectif, le futur Secrétaire général a toujours eu, à tort ou à raison, au mieux les traits d'un Africain que l'Afrique francophone fait adouber par la France, au pire ceux d'un homme de paille que le l'Elysée impose carrément aux Africains, avec l'accord souvent tacite du Canada et de la Belgique (incluant leurs entités fédérées francophones respectives).

Or, la course actuelle s'est caractérisée par le manque de consensus des Africains sur un candidat qui leur assurerait la non dispersion des voix à Dakar. Les deux concurrents les plus en vue au Sud, le Mauricien De L'Estrac et le Burundais Buyoya peinent à faire l'unanimité. Le premier en raison à la fois du poids jugé nul de son pays sur l'échiquier international et d'un profil que d'aucuns estiment en deçà du statut de ses futurs principaux interlocuteurs. Le deuxième est un ancien putschiste récidiviste qui, en dépit de réels succès glanés sur le terrain de la médiation internationale, passe mal, en termes d'exemplarité d'accession au pouvoir, auprès de certaines capitales du Nord, dont Ottawa et Berne. Tiraillé entre les deux hommes et désireux de ne pas faire faux bond à ses pairs africains, Hollande, jusqu'à récemment, n'en finissait pas d'hésiter. Prendra-t-il le risque d'humilier le Canada, un des bailleurs importants de l'OIF, au moment où Bercy voit tous ses indicateurs passer au rouge?

Avantage Michaëlle Jean

À six semaines de Dakar, il semble que Paris ait finalement opéré son choix en renvoyant dos à dos le Mauricien et le Burundais. En effet, en annonçant une visite d'État au Canada du 2 au 4 novembre, autrement dit à la veille de l'ouverture du Sommet qui aboutira à l'élection attendue, Hollande envoie un signal on ne peut plus clair à ses partenaires du Sud : puisque l'Afrique est incapable de se mettre d'accord sur un nom, la France choisit Michaeëlle Jean, qui se présente comme "une enfant d'Afrique" qui fait consensus. Elle possède un passeport canadien (son pays d'adoption), est mariée à un Français, en plus d'avoir ses racines en Haïti, une terre dont l'histoire et le destin rappellent le continent de Senghor, un des pères de l'actuelle OIF.

Nous sommes un certain nombre à avoir rêvé d'une Africaine pour succéder à Abdou Diouf. Face aux candidatures masculines africaines dont aucune ne semble sortir du lot de manière éclatante, force est d'admettre que le virage vers une francophonie qui laisse les femmes (et les jeunes) prendre la place qui est la leur dans le monde d'aujourd'hui, une Francophonie qui prend à bras-le-corps l'économie sans perdre l'acquis culturel, une francophonie appelée à rompre avec "les petits arrangements" entre Paris et ses "bons élèves" africains; bref, une Francophonie d'ouverture où la démocratie se conjuguerait à l'aune de l'égalité des genres, du mérite et de l'alternance, ce virage-là serait mieux assuré sous Michaëlle Jean. Difficile de ne pas admettre que c'est la meilleure d'entre les trois qui font la course en tête dans la campagne finissante.

 

L'ancienne représentante du Chef de l'État du Canada devenue Envoyée spéciale de l'UNESCO et Chancelière de la plus grande université bilingue au monde possède indéniablement les qualités recherchées. Tout au long d'une campagne menée avec humilité, efficacité et souci de synthèse, force est de constater qu'elle en a rassuré et séduit beaucoup, notamment en Afrique, y compris parmi ceux qui ne voyaient en elle que "l'ancienne représentante de la couronne britannique", oubliant que l'OIF l'avait jugée suffisamment en symbiose avec le fait francophone pour la choisir comme Grand Témoin de la Francophonie aux Jeux Olympiques de Londres en 2012. Une critique qui pourrait d'ailleurs se retourner contre ses auteurs si Jean devait finalement prêter son visage à une Francophonie ouverte et pleine d'assurance, plus occupée à poser des actes, à relever les défis de ses membres les plus en difficulté, qu'à perpétuer jusqu'à l'absurde le procès du "grand méchant Anglo" omnipotent.

C'est qui est sûr, c'est qu'au-delà de sa double appartenance au Nord et au Sud, Michaëlle Jean connaît les problématiques des pays pauvres. Avec un programme à saveur économique, secondée par un Administrateur expérimenté venu cette fois d'Afrique, je la vois capable du meilleur. Enfin, on pourrait tout dire d'elle, sauf qu'elle serait la Secrétaire générale de l'à-plat-ventrisme devant un François Hollande ou un Joseph Kabila. Il ne reste qu'à souhaiter que Dakar nous surprenne par le choix de l'audace, loin des sentiers battus et des incantations de ceux qui ne jurent que par un statu quo afrocentré.

 

Blaise Ndala

Juriste des droits de l'Homme et romancier