«Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie.» (Lamartine) A l’entame de sa communication au Conseil des ministres, le chef de l’Etat a souhaité la bien- venue au nouveau ministre auprès du Président de la République en charge du suivi de l’exécution du Plan Sénégal Emergent.

 C’est M. Mahammed Boun Abdallah Dionne, jusque là en poste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi) qui va, en effet, coor- donner le Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal Emergent (Bosse).» Ainsi, était libellé, de façon laconique, le passage du dernier communiqué du conseil des ministres, en date du 13 mars 2014, qui avait pris de court et brisé les espoirs de beaucoup de prétendants à la gestion de ce qui sera, qu’on le veuille ou non, une véritable manne financière.

 MEUTE  DE  DEÇUS.  Parmi ces déçus, il faut compter, en tête de liste, le Premier ministre. Aminata Touré, dont le sort semble scellé depuis belle lurette, est aujourd’hui face à son destin. Celui qui guette, malheureusement, tous ceux qui sont dans cette posture à la fois enviée et risquée : être suspecté de lorgner le fauteuil du patron et de se dire «pourquoi pas moi ?». Mais, le grand perdant de la mise en selle du sieur Dionne est le ministre de l’Economie et des Finances. En effet, Amadou Bâ a eu le tort, d’autres diront la maladresse, de danser plus vite que la musique, dans un pays où la chose la mieux partagée est de savoir  cacher son jeu pour surprendre son  monde…  Pour  avoir  drivé les préparatifs du Groupe consultatif de Paris et envoyé dans les cordes le ministre du Plan Abdoulaye Bibi Baldé, qui a réclamé sans succès la conduite du Pse, l’ancien Directeur général des Impôts et Domaines, que certaines mauvaises langues dépeignent volontiers sous les traits d’un jeune loup aux dents longues, se voyait déjà à la Maison militaire. Surtout que la rumeur continue d’enfler sur un éventuel remaniement qui verra, sans doute, la théoricienne attitrée de la fameuse traque aux biens supposés mal acquis, éjec- tée de la Primature. Quid du non moins «ambitieux» Thierno Alassane Sall qui n’a jamais caché qu’il en pinçait pour la sta- tion de chef du gouvernement qui reste encore, sous nos tropiques, une voie de garage ?

MISSUS DOMINICUS. Pourtant, comme une ritournelle, le nom de Mahammed Boun Abdallah Dionne revenait, sans cesse, depuis le 25 mars 2012, dans le cercle restreint de Macky Sall. Soit comme ministre d’Etat Directeur de cabinet, soit Secrétaire général de la Présidence ou encore… Premier ministre. Informaticien-économiste de formation ayant fait ses armes à Ibm et ancien chef du Bureau économique de l’ambassade du Sénégal à Paris, ce frère du député Cheikh Diop Dionne (celui  qui  avait  osé  défier  le «loyal» Moustapha Niasse pour briguer le poste de président de  l’Assemblée  nationale,  ndlr),  a quitté le Sénégal en 2008 pour embrasser une carrière diploma- tique. Perçu comme le «joker» et missus dominicus du président de la République, ce dernier n’a jamais pris une importante décision sans s’en référer à lui. Qu’il soit Premier ministre, Directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade à la présiden- tielle de 2007 ou encore prési- dent de l’Assemblée nationale.

Fonctionnaire international à l’Onudi jusqu’à son retour aux «affaires», Mahammed Dionne, qui fut cadre de la Banque cen- trale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et expert de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) au Maghreb, n’a pas accepté de faire son come- back au premier plan dans la sphère étatique pour jouer les seconds rôles. Même s’il nous revient, de sources dignes de foi, que le chef de l’Etat lui en vou- lait pour un «dossier hyper sensi- ble».

MISE   EN  TRAIN.   Homme d’influence, fidèle parmi les fidèles, Macky Sall n’aura, à dire vrai, jamais arrêté de le «travail- ler au corps». D’ailleurs, leur tête-à-tête à Addis-Abeba, en marge du sommet de l’Union africaine (Ua) qui s’est tenu au mois de janvier 2013, laissait aisément deviner qu’il allait, tôt ou tard, retourner au bercail. Mais, le «vrai sherpa de Macky Sall», naguère dépité par l’ad- versité au cœur de l’Etat, ne serait pas pressé de se jeter dans le marigot sénégalais infesté de sauriens aux mâchoires aussi gigantesques que protubérantes. «Mohamed John»- comme on l’appelle chez les Mackystes historiques qui battent le rappel de leurs troupes-, aura été l’incontournable Directeur de cabinet du Premier ministre Macky Sall. Un conseiller de l’époque disait, un brin admiratif, de ce natif de Gossas, un 22 septembre 1959 : «En une semaine de service, il avait vite fait de faire oublier son prédécesseur à ce poste, le magistrat El Malick Diop». Un autre proche du successeur de Me Abdoulaye Wade d’en rajouter une couche : «Avec Me Alioune Badara Cissé, Secrétaire général du gouvernement de l’époque, il a constitué un tan- dem de feu et de ruse face aux assauts des faucons du Palais qui étaient décidés à faire la peau à Macky Sall.» Classé au 33ème rang, par ordre d’arrivée, du gouvernement Mimi Touré, il pourrait gravir très vite les échelons. Suivez notre regard.

LECTEUR DE SUN TZU. En vérité, Dionne a été le principal collaborateur de Macky Sall qui ne tarissait pas d’éloges sur sa culture financière, son habileté naturelle et sa limpidité intellec- tuelle. Profil quasi-aristocratique, ce dandy discret, amateur de cigares et de beaux costumes détonnait  dans  l’entourage  du «boss» par une remarquable qualité : méthodique. Jamais son grand bureau à la Primature n’était fermé aux  visiteurs. Au chef, «il lui parlait comme personne d’autre», dans un discours franc et direct. Pour avoir «la bonne heure de l’opinion», il se retournait invariablement vers lui. Depuis le 25 mars 2012, un club restreint de l’entourage du chef de l’Etat, sans doute nostalgique de ce grand lecteur de Sun Tzu (L’Art de la guerre), pleurait en secret le mépris de ses charmes professionnels : «Il faut qu’il revienne pour que ça roule correctement.»  Mais,  cet  anti-courtisan, un temps dégoûté parla politique tropicale, avait pris ses distances et s’était consacré à ses consultances internationales, sa famille et son épouse. Marqué au fer rouge par le déchirement entre Me Abdoulaye Wade et Macky Sall, il a tout fait pour les réconcilier. Mais, les ponts étaient définitivement coupés entre «le  maître  et l’apprenti». Comme, il était naturellement programmé pour revenir en force auprès de son mentor qui est sur le point de boucler la deuxième année de son quinquennat (?)…

Papa Souleymane KANDJI

N. B : Ce texte a été publié le 17 mars 2014. Si nous le publions, in extenso, c’est parce que nous anticipions déjà, avec force arguments, sur la nomination de ce proche du chef de l’Etat. Toutefois, les Sénégalais l’attendent sur certaines urgences : emploi des jeunes, eau et électricité à suffisance, bien-être social, soutien accru au monde rural, etc. Aussi, il faut se réjouir du fait que le nouveau Premier ministre ait placé, en parfaite intelligence avec Macky Sall, son magistère sous le crédo AU TRAVAIL. Après près de six semaines de pause électorale, il est temps que le président de la République siffle la fin de la récréation pour que Sénégal se mette au travail. D’ailleurs, les observateurs pensent que cet ancien directeur de l’Industrie a les compétences requises pour mettre en musique les notes gouvernementales pour hisser notre barque vers l’Emergence.