Le général de Gaulle disait, paraît-il, "qu'en matière militaire, quand on a fait une connerie il faut aller jusqu'au bout". C'est la première pensée qui vient à un vieux routier du judiciaire, pour l'avoir souvent vérifié dans les petites affaires correctionnelles, celles du pénal des affaires et les graves affaires d'assises. Le juge d'instruction prend des risques et il continue jusqu'au bout de sa logique, quitte à se faire démentir plus tard par le tribunal.

Si l'on suit cette logique, la première erreur aurait été de mettre sous écoutes un ancien président de la République pendant sept mois. Puis, n'ayant rien trouvé, de ramasser l'écume de ces écoutes pour créer une deuxième affaire, celle de trafic d'influence, confiée à d'autres juges d'instruction. Puis, pour ces nouveaux juges, de relever le défi en écoutant jusqu'aux conversations de l'avocat de l'ancien président avec son bâtonnier, ce qui est une première. Puis, au lieu d'entendre eux-mêmes l'ancien président de la République et deux hauts magistrats avocats généraux à la Cour de cassation, de les coller en garde à vue. Puis, de mettre en examen l'avocat, un magistrat et l'ancien président en chargeant encore la mule avec la "corruption active". L'idée est, qu'une fois pris le risque de commettre une grave erreur symbolique ou à tout le moins une faute de goût, rien n'est provisoirement plus sûr que la fuite en avant. Tout le monde connaît ce défaut. Personne n'y échappe. Quand on est injuste, il faut se justifier quitte à aggraver son injustice en chargeant les autres. C'est vrai en matière de justice comme en matière militaire et dans le privé. Ceci est une première face de l'affaire.

La deuxième est -pour rester dans le militaire- que les soldats, les sous-officiers et les officiers généraux ont la culture de la mesure et de la proportionnalité des moyens employés par rapport à l'objectif. Cette culture n'existe pas toujours dans le monde judiciaire qui détient des armes létales pas nécessairement sur le plan physique mais assurément sur le plan moral et politique. Et dans cette affaire Sarkozy, je n'ai pas l'impression que la mesure ait été à l'ordre du jour. Perquisition à la Cour de cassation, tentative de viol des délibérés de sa chambre criminelle, auditions des magistrats de cette chambre pour une affaire particulière, on n'a jamais vu ça. Mais si la peur s'en mêle... Côté militaire, la troupe, on le sait, commet des bavures lorsqu'elle a peur. Il est possible que ce soit la raison pour laquelle cette troupe de juges défourraille plein pot sur tout ce qui bouge, ou plutôt pourrait bouger, en faisant passer tout le monde à la moulinette, y compris des magistrats, l'ancien chef de l'Etat et son avocat, malgré les résistances du premier président de la Cour de cassation.

La troisième hypothèse est que Nicolas Sarkozy soit coupable de tout ce dont il est accusé. Faut-il accepter cependant qu'il soit condamné avant même d'être jugé ? Faut-il écouter pour ce faire son avocat et les conversations de celui-ci avec son bâtonnier, avant même de savoir s'il est coupable de quelque chose mais pour un effet d'annonce immédiat ? Sans avoir ni charges, ni preuves mais seulement des indices qu'ils considèrent graves ou concordants ?

La vérité est que les juges d'instruction qui ont monté cette affaire n'ont probablement ni culture militaire pour les armes, ni culture tout court, celle de la réalité. Par l'usage de moyens exagérés pour poursuivre un ancien Président de la République, ils ont peut-être ainsi, paradoxalement, signé la mort de leur institution. Nicolas Sarkozy, alors président en 2009, voulait supprimer cette institution impossible, inconnue de 80% des démocraties et supprimée dans plusieurs pays d'Europe depuis les années 1970. Une institution moribonde parce qu'elle confond l'enquête et la justice.

Le fond du problème, Montesquieu l'a résumé: "Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser". Caroline Eliacheff disait récemment que tout pouvoir génère un sentiment d'impunité. C'est vrai des pouvoirs, mais également des contre-pouvoirs. S'agissant des contre-pouvoirs, ce sont les avocats belges des ONG défendant les droits de l'Homme qui, en déposant des plaintes contre Georges Bush Senior et Colin Powell, ont tué la loi de compétence universelle de la Belgique sur les droits de l'Homme. Ce sont les juges de la cour suprême américaine qui, ayant sabré en 1932 et 1936 toute la législation sociale de Roosevelt, se sont entendu dire par celui-ci: "il n'y a pas de nombre de juges prévu par la Constitution des Etats-Unis d'Amérique. Donc si vous continuez, je vais en nommer plusieurs autres". Deux sont morts et un troisième a changé d'avis. Il y a un moment où chacun doit faire la part de sa jouissance, des lois et du bon sens.

Daniel Soulez Larivière Avocat et essayiste