Dans le grand remue-ménage planétaire, voici un nouvel élément de taille : le rapprochement entre Moscou et Pékin. Il a pris la forme d’un accord de fourniture de gaz russe à la Chine pour trente ans à partir de 2018. Il a fallu aux deux pays dix ans de négociations, conclues lors du récent sommet entre les présidents Xi Jinping et Poutine. En d’autres temps, c’est-à-dire à peine hier, un tel accord se serait inscrit dans le contexte d’un monde multipolaire, où chacun commerçait avec tous. Nous n’en sommes plus là.

 

Pour Poutine, il était essentiel d’éviter l’isolement dont le menacent les Européens et les Américains après son raid contre la Crimée et la déstabilisation permanente de l’Ukraine qu’il conduit. La symbolique est ici au moins aussi importante que la garantie qui lui est donnée de remplacer un jour les fournitures de gaz aux Européens. Pour le président Xi, il s’agit aussi de répliquer aux Etats-Unis. Les sujets qui fâchent ne manquent pas. Cela va de la plainte des Etats-Unis contre le cyber-espionnage industriel chinois aux questions de sécurité, comme en témoigne le récent voyage de Barack Obama au Japon, en Corée du Sud et aux Philippines.

 

Si bien que nombre d’experts font le raisonnement suivant : hier, le rapprochement inattendu des Etats-Unis et de la Chine, alors dirigés par Richard Nixon et Mao Tsé-Toung, avait commencé d’ébranler la puissance de l’URSS. Cette fois, le nouvel axe Moscou-Pékin a pour finalité d’isoler Washington. C’est un constat de nature à encourager tous ceux qui estiment la diplomatie d’Obama marquée du sceau de la faiblesse. Pourtant, il n’est pas sûr que ce rapprochement soit synonyme pour les Russes et les Chinois de lendemains qui chantent. La Russie s’est sans doute replacée au centre du jeu. Telle était l’obsession de Poutine. Mais a-t-elle gagné au change ?

 

Hier, une Russie qui s’inscrivait progressivement dans un partenariat de long terme avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Une perspective de nature à faire grandir son économie. Aujourd’hui, une Russie redevenue menaçante pour ses voisins et qui est, à son tour, menacée de voir l’Europe et les Etats-Unis se détourner. Avec comme seule perspective d’être le pourvoyeur de matières premières du géant chinois. Ce n’est guère glorieux et ce n’est pas davantage un moyen d’enrayer le déclin programmé de son économie.

 

La Chine proteste contre l’attitude des Etats-Unis.

 

Il est vrai qu’un pays qui s’arroge le droit d’espionner la planète entière n’est guère fondé à reprocher aux Chinois d’utiliser les mêmes méthodes. Mê­me si les Etats-Unis tentent, à raison aujourd’hui, de «contenir» la Chine qui, à travers une diplomatie de plus en plus nationaliste et agressive, provoque un réflexe de défense de la part de pays aussi différents que l’Inde et la Corée du Sud, sans compter le Japon, les Philippines et la Malaisie. Il n’est que de voir les récents incidents anti-chinois au Vietnam pour comprendre que tous ces pays pressent les Etats-Unis de monter la garde.

 

Les Etats-Unis n’ont donc pas tort de recentrer leur stratégie sur la zone Asie-Pacifique. Mais à la condition de ne pas négliger l’Europe. Or, la réponse à l’axe Moscou-Pékin existe. Elle est même en cours de négociation. On ne peut trouver meilleure justification à la conclusion d’un nouvel accord de libre-échange transatlantique. A la condition, bien sûr, de ne pas provoquer l’opposition des opinions européennes en engageant on ne sait quel bras de fer. L’enjeu stratégique est de tenter de consolider ce qui serait la zone de prospérité la plus puissante du monde et pour longtemps. Et qui ferait regretter à la Russie de s’être tournée – une fois de trop ? – vers l’Asie.

 

Jean-Marie Colombani