Les troupes de l'opération Sangaris ont dû faire face jeudi à la colère de partisans des rebelles musulmans de la Séléka, priés d'abandonner leurs armes à Bambari, leur « capitale ». Le pont de Bambari est vieux, poussiéreux, étroit, mais cet ouvrage d'art de 180 mètres est hautement stratégique.

 Sur la rive est, les ex-rebelles de la Séléka ont établi leur nouveau quartier général. A l'ouest, les miliciens anti-balaka, leurs ennemis, progressent. Au milieu, des soldats français de l'opération Sangaris et leurs blindés.

Jeudi, tout au long de la journée, des deux côtés de la rivière Ouaka, jeunes musulmans et militaires français se sont fait face. Les premiers, parfois armés de machettes ou d'arcs et de flèches, brulaient des pneus, érigeaient des barricades, lançaient des slogans hostiles « Français voleurs, Sangaris dehors », encouragés par des éléments de la Séléka. Les seconds, pour l'essentiel des chasseurs alpins, regardaient placidement, dégoulinant de sueur, prêts à dégager le pont puis à empêcher son franchissement, y compris en dernier ressort par des tirs de « neutralisation ». Dans le ciel tournoyaient les hélicoptères Gazelle et Puma.

LES SÉLÉKA PRIÉS D'ABANDONNER LEURS ARMES

Les raisons de ce face-à-face ne sont pas anecdotiques. La veille, le général Francisco Soriano, le patron de l'opération Sangaris, accompagné notamment de représentants de l'Etat centrafricain, de l'ONU et de l'ambassadeur de France, s'était déplacé à Bambari, à environ 380 kilomètres de Bangui, pour signifier aux Séléka que, dès jeudi, les « mesures de confiance » seraient imposées aux combattants de l'ex-rébellion qui avait conquis le pouvoir en mars 2013 avant de l'abandonner sous pression internationale moins de dix mois plus tard. En clair, cela signifie que ceux qui se sont rebaptisés « Forces républicaines » doivent, dans cette ville, regagner leurs sites de cantonnement et ne plus sortir armés en attendant le lancement du processus de désarmement.

Pour les officiers de la Séléka, cela équivaut à une perte de pouvoir et, dès le jeudi matin, Bambari s'est réveillée sous haute tension. Aux environs de 8 heures du matin, un incident a opposé militaires français et ex-rebelles refusant de se voir dépouiller de leurs prérogatives de maîtres de la ville. Des coups de feu ont éclaté. Plusieurs officiers de Sangaris assurent n'avoir effectué que des tirs de sommation en dépit des flèches et des pierres lancées sur leurs véhicules, mais le nouveau chef d'état-major de la Séléka, le général Joseph Zoundeïko, parle de 3 morts et de 8 blessés, tous civils. Le Monde n'ayant pu pénétrer dans la ville après s'être vu provisoirement refuser l'entrée par les soldats français, n'est pas en mesure de confirmer ces bilans.

« LES FRANÇAIS NOUS LAISSENT COMME DES POULETS DÉPLUMÉS »

Apeurés, des milliers d'habitants de Bambari sont partis se réfugier dans les églises. Il y a encore quelques jours, cette cité était pourtant encore relativement préservée des violences qui ont ensanglanté le pays.

 

Les enjeux de cette poussée de fièvre sont multiples. Tout d'abord, les nouvelles « Forces républicaines » acceptent fort mal de ne pouvoir lancer de contre-offensive sur les anti-balaka qui les harcellent en profitant du déploiement des soldats français dans le pays. « Les Français nous laissent comme des poulets déplumés, tout mouillés et après, les populations musulmanes se font massacrer », grogne le colonel Narkoyo, l'un des porte-paroles de l'ex-rébellion.

Plusieurs officiers de l'opération Sangaris reconnaissent que ces groupes de miliciens posent un réel problème, d'autant que ceux-ci, débarrassés de leurs armes sommaires (machettes et fusils artisanaux pour l'essentiel), se fondent aisément dans la population civile.

LA SÉLÉKA DIVISÉE

Ensuite, la Séléka est traversée de multiples divisions, de querelles de chefs. Certains sont prêts à jouer le jeu du désarmement en espérant un reclassement dans la future armée centrafricaine mais d'autres ne cachent pas leur volonté de couper le pays en deux sur une ligne est-ouest. Bambari est à la frontière et en poussant au nord et à l'est se trouvent d'importantes mines de diamants. La France s'oppose à cette partition et ménage les chefs de la Séléka qui s'inscrivent dans la logique de maintenir la RCA une et indivisible. A Bambari, elle s'appuie notamment sur le général Ali Darassa. « Ils sont inquiets, il faut les rassurer mais cette journée est un test pour voir si Ali Darassa est capable de maintenir l'ordre », confiait jeudi devant le pont de Bambari, le capitaine Guillaume.

Les raisons de cette inquiétude ne sont pas injustifiées. Jeudi de l'autre côté du pont de Bambari, Sylvain, un simple civil, déclarait sans gêne : « Si, nous chrétiens, allons là-bas, ils nous tuent ; si les musulmans viennent, nous les tuerons. Pour la paix, il faut les combattre. Nous n'attendons que les anti-balaka qui sont en chemin. »