Dominique Lafont et Lionel Zinsou sont tous deux co-présidents du groupe de veille "Afrique" de l'Institut Montaigne et sont signataires du rapport paru hier : Afrique - France : mettre en œuvre le co-développement. Deuxième région du monde derrière l'Asie en termes de croissance du PIB durant la décennie 2000 et peut-être la première dès 2014, l'Afrique émerge aujourd'hui comme l'un des moteurs de l'économie mondiale. Cette émergence, elle la doit avant tout à elle-même. Le continent connaît depuis près de dix ans une croissance généralisée, tirée par la consommation d'une classe moyenne déjà forte de 120 millions d'habitants. Les greffes technologiques ont pris et le boom des télécommunications fait de l'Afrique un territoire de l'innovation en la matière.

Si les défis sont encore nombreux, avec un développement du continent à plusieurs vitesses, le renforcement de l'environnement concurrentiel, l'augmentation du volume des échanges et la création de nouvelles opportunités sont autant de signes que le continent s'insère de façon durable dans les échanges internationaux. La croissance des économies africaines n'est pas un épiphénomène mais une tendance structurelle forte. Ce nouveau souffle est également imputable aux pays émergents. Ceux-ci ont perçu, avant les pays développés, les dynamiques en gestation et le potentiel de croissance du continent africain. Aujourd'hui, les exportations africaines vers les Emergents participent significativement à la croissance industrielle du continent. La Chine s'est ainsi imposée comme premier partenaire économique. Quasi-inexistants au milieu des années 1950, les échanges commerciaux sino-africains représentaient 10 milliards de dollars en 2000 et ont été multipliés par vingt depuis lors. Le Brésil et l'Inde se sont eux aussi imposés comme des partenaires de choix de cette nouvelle Afrique. Le Brésil y a triplé sa représentation diplomatique et y investit durablement grâce au lancement du plus grand fonds d'investissement d'Afrique. L'Inde a, quant à elle, mis en place une stratégie particulièrement efficace qui s'appuie sur le dynamisme des entreprises privées de toutes tailles et de tous secteurs.

Aujourd'hui, ce sont la Turquie, la Corée du Sud, les pays de l'ASEAN ou encore du Golfe persique qui mettent en œuvre des stratégies africaines. L'Afrique est perçue comme un centre de consommation en devenir, ce que nous sommes loin de saisir avec autant d'acuité. Conséquence de ce mouvement, les BRICS figurent au premier rang des partenaires du continent et contribuent efficacement à la diversification des économies locales. Le total des exportations de l'Afrique vers le Brésil, l'Inde et la Chine dépasse désormais celui à destination de l'UE. En outre, une partie des projets qu'ils réalisent en Afrique concernent les secteurs des services et les activités manufacturières, contribuant ainsi à la diversification des économies locales. Alors même que les Emergents portent un regard neuf et désinhibé, la France, elle, tend à se banaliser en Afrique. Les parts de marché de l'Hexagone sur le continent sont passées de 16 % en 2000 à 8 % en 2010. Plusieurs facteurs peuvent expliquer un tel recul : trop faible prise de risque entrepreneuriale, manque de compétitivité dans les appels d'offres internationaux, mais aussi un manque de lisibilité et de coordination dans l'action des pouvoirs publics français.

 

Certes, le volume des échanges importe davantage que les parts relatives ; mais même sur ce plan, les entreprises françaises refluent et leurs marges de manœuvre se réduisent d'autant. Ce recul est général. Il est particulièrement flagrant dans le secteur bancaire, qui fut jadis un relais majeur de l'influence française en Afrique. Les comités exécutifs de nombreux groupes hexagonaux ne semblent pas avoir suffisamment pris la mesure des changements qui s'opèrent à l'heure actuelle en Afrique. Trop peu d'entreprises ont intégré la nécessité de s'y redéployer, d'y investir ou d'y réinvestir, d'y établir une stratégie de long terme à l'échelle continentale. Il n'est pas trop tard pour réagir. La France dispose d'avantages comparatifs sans pareil en Afrique : une proximité culturelle, linguistique et géographique, ainsi que d'importants atouts liés à une présence historique et à l'expérience des acteurs économiques. Par ailleurs, la France détient toujours le premier stock d'investissements en Afrique, plus de trois fois celui de la Chine, qui ne se place qu'au sixième rang.

Les groupes français peuvent également s'appuyer sur ce qui demeure encore le premier réseau diplomatique du continent. Ils sont plus soucieux du respect des normes RSE et tendent à nouer davantage de partenariats avec des entreprises africaines, créant plus de valeur et d'emplois que leurs homologues issus des pays émergents. La France dispose aussi de plusieurs entreprises leader sur les marchés africains : le transport maritime, la logistique, la téléphonie mobile, le transport aérien, les matières premières... Si leur nombre est actuellement restreint, ces groupes, implantés de longue date, sont aujourd'hui rejoints par d'autres dans le domaine de la distribution, du luxe ou encore de la pharmacie. Cette présence de grands groupes très implantés est un atout considérable mais des formules de partenariat restent à inventer afin que celles-ci puissent entraîner dans leur sillage les entreprises hexagonales de tailles intermédiaires. De ce point de vue, il serait opportun de mettre en place une plateforme de communication et de partage d'expériences entre les grands groupes présents et les autres, en particulier les PME et les ETI. Dans le même esprit, les entreprises françaises devraient aussi considérer les sociétés des pays émergents comme des partenaires potentiels. La France dispose, en effet, de savoir-faire éprouvés et d'une connaissance indéniable en Afrique. Les entreprises des pays émergents ont les capitaux et la volonté de s'implanter sur le continent africain. Une alliance triplement gagnant-gagnant pourrait émerger, profitant à la fois aux entreprises françaises, à celles des Emergents, et à l'Afrique qui bénéficierait pleinement de ce surcroît d'activité. Ainsi, le private-equity pourrait-il soutenir les entreprises françaises qui oeuvrent dans une véritable logique de co-développement. La France pourrait également assouplir sa politique de visas pour les étudiants et les cadres. Ces dispositifs pourraient être accompagnés par la création d'écoles et d'universités locales, dans une logique de co-branding avec les universités et grandes écoles françaises. Au final, la France dispose des atouts nécessaires pour demeurer un acteur majeur en Afrique. Si l'initiative revient en premier lieu aux entreprises, l'Etat doit accompagner ce mouvement par la mise en place d'une véritable coopération entre le secteur privé et les pouvoirs publics, inscrite dans une stratégie cohérente et lisible, exprimée et assumée. La France a les moyens de ses ambitions et a la capacité de tenir un rôle de leader sur le continent, dans le respect de ses partenaires africains.

La France et les entreprises françaises ont encore une chance historique de coproduire ce « miracle » économique africain qui se dessine. Encore faut-il que tous ensemble, nous en prenions conscience...

    Dominique Lafont

    Cadre dirigeant spécialisé Afrique pour le groupe Bolloré