Le président chinois Xi Jinping lors de la seconde session plénière de l'Assemblée nationale populaire le 9 mars. Il est des journalistes que le régime apprécie plus que d’autres. Ainsi les vingt-deux confrères africains venus suivre de l’intérieur l’APN, l’Assemblée populaire nationale, grand-messe du Parti communiste chinois organisée chaque année au Palais du peuple à Pékin.

Sous les ors de la République populaire, ces journalistes débarqués de Guinée, du Nigeria ou encore d’Ouganda, ont suivi pendant dix jours les « leçons » très particulières d’une batterie d’experts sur les secrets de la réussite chinoise. Lin Song Tian, directeur du département Afrique du ministère des affaires étrangères, a ainsi expliqué en personne l’intérêt d’un tel programme : « La Chine a la volonté de partager son expérience avec l’Afrique, a lancé le diplomate. Le soutien de la Chine est fondé sur le respect mutuel et il n’y a pas d’intention cachée pour faire pression sur le continent comme c’est le cas avec les pays occidentaux. Nous cherchons à établir un partenariat et pas à coloniser le continent. Nous ne sommes pas en Afrique pour exploiter vos ressources, ni pour imposer nos idées. »

« 10 000 boursiers africains »

Comme eux, un millier de professionnels africains des médias seront reçus par la Chine chaque année pendant trois ans. Une promesse faîte par le président chinois Xi Jinping en décembre à Johannesburg lors du sommet Chine-Afrique. Le programme s’inscrit dans le cadre de l’élargissement des bourses d’études offertes par la Chine aux Africains. « Chaque année, nous recevons environ 10 000 boursiers africains, a expliqué Lin Song Tian lors d’une conférence de presse. Nous allons développer ce programme pour recevoir et former 200 000 Africains. Certains viendront en Chine et d’autres seront formés localement par le biais de partenariats avec des universités et des institutions du secteur tertiaire. » Ces vingt-deux journalistes sont les témoins privilégiés de la mise en place d’un programme ambitieux de « soft power » (diplomatie douce) chinois en Afrique.

Depuis 2014, la Chine reçoit via le China Africa Press Center Program des reporters africains venus se confronter à la politique, la culture, les arts et l’histoire de la Chine. Un programme d’immersion qui ne laisse aucune place à l’improvisation ou à des reportages critiques sur le régime. « Nous sommes encadrés du début à la fin. Nous n’avons aucun temps libre pour réaliser librement un reportage ou des interviews », confie un peu amer l’un des invités qui se réjouit cependant d’avoir pu profiter d’un voyage tout frais payé.

Cette année, le programme va durer exceptionnellement dix mois. Il a débuté le 1er mars par une grande réunion de diplomates et journalistes africains, suivi de plusieurs séminaires à l’Université Renmin de Pékin sur le « système politique chinois » donné par le professeur Wang Yiwei.

« Amour réciproque »

Les journalistes occidentaux n’étaient pas conviés mais selon des comptes rendus il fut beaucoup question d’« amour réciproque » et de situation « gagnant-gagnant », selon la rhétorique préférée du régime. « Nous aimons l’Afrique et l’Afrique nous aime », a ainsi lancé un orateur. Des diplomates africains en poste à Pékin étaient invités à assister à l’Assemblée et aux séminaires avec les journalistes.

Les experts chinois ont également beaucoup insisté sur la construction d’infrastructures, prérequis indispensable selon eux au développement de l’Afrique. L’occasion de défendre et justifier le programme chinois du Focac (Forum de coopération sino-africain) et les 60 milliards promis à l’Afrique pour la construction de ces infrastructures. Le programme doit se terminer le 15 décembre 2016 avant l’arrivée d’une nouvelle délégation de journalistes en 2017.

Pour la propagande du régime, l’occasion est trop belle de ne pas donner la parole à ces témoins choyés : « La Chine a beau être loin de mon pays, la Guinée-Bissau, nous voulons en savoir plus sur le régime chinois », peut-on ainsi lire dans une interview à la presse officielle chinoise de la journaliste Lucienne Kamano. « L’histoire de la Chine est tellement riche que j’ai hâte de la faire partager à mes auditeurs. » Un concert de louanges repris par son confrère nigérian du Sun, Ikenna Emewu : « Je vis au Nigeria mais je m’intéresse énormément à la Chine dont je suis chaque jour les nouvelles. Je regarde notamment la chaîne CCTV. »

6 à 10 milliards de dollars pour soigner son image à l’étranger

CCTV justement, le groupe chinois de télévision publique chinois a créé plusieurs antennes à destination des pays étrangers : en anglais, en français et, pour l’Afrique spécifiquement, un décrochage quotidien diffusé depuis 2012 à partir de ses bureaux de Nairobi au Kenya et présenté notamment par une journaliste locale Beatrice Marshall. CCTV qui a fait une large place à la visite de ces journalistes africains et en a profité pour interviewer plusieurs ambassadeurs en poste dans la capitale. Et quand CCTV en mandarin cette fois s’intéresse aux Chinois vivant en Afrique, cela donne une série de documentaires complaisants pleins de clichés, d’animaux sauvages et de couchers de soleil diffusés depuis le début du mois.

Chaque année, la Chine dépenserait ainsi l’équivalent de 6 à 10 milliards de dollars pour soigner son image à l’étranger, et notamment en Afrique, via CCTV et ses réseaux en six langues, Radio Chine internationale qui diffuse quant à elle en quarante-trois langues, ou encore l’agence de presse Chine nouvelle avec ses onze bureaux dans le monde. Sans compter les éditions africaines du Quotidien du peuple et de China Daily.

« Il y a une stratégie globale des médias chinois notamment en Afrique où, depuis les années 1950, pour des raisons d’abord politiques puis économiques, le régime communiste entend s’attirer les bonnes faveurs des populations, explique Jiangeng Sun, chercheur et enseignant à l’Université catholique de l’Ouest en France. L’internationalisation des médias chinois a pour objectif d’établir un nouvel ordre médiatique du monde et s’emparer du pouvoir discursif. Il s’agit d’influencer l’opinion publique dans les pays africains. »

De là est né le concept d’« information positive » cher à la propagande chinoise : « On est très loin en Chine du concept occidental d’information critique, note Jiangeng Sun. Je connais des journalistes chinois qui refusent de parler négativement d’un pays pour ne pas diaboliser ce pays ou parce que la Chine considère qu’il s’agit d’un pays ami. » Les pays africains en font quasiment tous partie, à l’exception notable du Swaziland, de Sao Tomé-et-Principe et du Burkina Faso. Seuls pays d’Afrique à reconnaître Taiwan et pas la République populaire de Chine. Lors des attentats de janvier à Ouagadougou, la presse officielle chinoise n’a d’ailleurs pas hésité à tirer à boulets rouges et à fustiger, une fois n’est pas coutume, l’incurie du régime burkinabé. L’information positive a aussi ses limites.