L'Office chérifien des phosphates (OCP), leader mondial des phosphates, lance une filiale africaine qui va, avec l'ambition de "nourrir l'Afrique", développer l'agro-business sur le continent. « Nourrir les hommes a toujours été pour l'OCP une mission fondamentale », assure la communication du Groupe marocain. Jeudi 25 février 2016, à Marrakech, le premier producteur et exportateur mondial de phosphates a présenté sa nouvelle filiale, OCP Africa, avec l'ambition d'améliorer la productivité de l'agriculture africaine. « Nous sommes en discussion avec le Nigéria, l'Éthiopie, le Gabon et l'Angola pour implanter des usines de production d'engrais. Chaque projet représentera un investissement de 500 millions à un milliard de dollars d'investissement. On a également d'autres projets d'usines de mélange pour 2 à 3 millions de dollars chacune, a ainsi révélé Tarik Choho, directeur général adjoint du groupe et nouveau PDG de OCP Africa.

Les discussions [avec le milliardaire nigérian Aliko Dangote, NDLR] dans la perspective d'une usine qui exploiterait le gaz local avancent très bien. Nous aurons probablement des choses à annoncer rapidement. »

Alors que le marché africain n'était nommé nulle part dans le plan de développement de l'OCP pour la période 2008-2020, il est progressivement devenu central dans la stratégie du Groupe. Début février, le roi a même inauguré l'African Fertilizer Complex, à Jorf Lasfar, au sud de Casablanca. La nouvelle usine est composée d'une unité d'acide sulfurique (1,4 million de tonnes/an), d'une unité d'acide phosphorique (450 000 tonnes/an) et d'une unité d'engrais (1 million de tonnes équivalent DAP/an). Dédiée à l'Afrique – plus symboliquement que dans son fonctionnement industriel –, cette unité est déjà dépassée par la demande africaine.

1,3 Mt d'engrais exportés en Afrique en 2014

L'OCP a ainsi exporté 1,3 million de tonnes de produits finis (engrais et TSP) en 2014 en Afrique, soit 27 % de ses exportations contre seulement 18,6 % un an plus tôt. Le continent devient ainsi un relais de croissance majeur pour le Groupe. « Durant les 9 premiers mois de l'année, […] l'OCP a bénéficié de la reprise de la demande indienne ainsi que la poursuite des fortes exportations vers l'Afrique, qui ont compensé la baisse des importations d'engrais par le Brésil, et d'une hausse significative des exportations chinoises », indique l'OCP dans son rapport du troisième trimestre 2015. « Aujourd'hui, nous détenons 70 % du marché des engrais en Afrique, notre objectif n'est pas d'atteindre les 100 %, mais que le marché passe lui-même de 100 à 500. Nous voulons agrandir le gâteau, plutôt que notre part du gâteau », insiste Tarik Choho. Aujourd'hui, l'utilisation moyenne d'engrais est de 8kg/ha en Afrique contre 107kg/ha dans le monde, selon l'étude « Le développement du marché des engrais en Afrique subsaharienne », publiée en mai 2013  Maria Wanzala et Rob Groot pour l'International Fertilizer Society.

« Agrandir le gâteau

Pour « agrandir le gâteau », OCP Africa va installer des bureaux dans 15 pays africains et recruter 240 personnes d'ici la fin de l'année. L'objectif ne sera pas tant de renforcer la commercialisation des engrais que d'améliorer leur accessibilité et réduire leur coût pour les agriculteurs. Il s'agit de développer des engrais adaptés aux besoins des sols, ainsi que de nouvelles usines de production, mais aussi d'améliorer les voies d'accès terrestre, la distribution, le stockage, ainsi que les semences. « Nous discutons avec des sociétés de commercialisation de semences. Certaines utilisent encore des engrais qui étaient employés au XIXe siècle en Europe. Avec ces semences, les engrais auront un effet sur le rendement agricole, mais il restera largement inférieur à celui que l'on peut obtenir en associant les engrais à des semences adaptées. Nous adoptons donc une approche globale et intégrée. L'objectif est de débloquer les conditions d'une grande agriculture », affirme le PDG de OCP Africa. De fait, les ambitions de l'OCP s'inscrivent dans le mouvement initié dans les années 2000 pour une Révolution verte en Afrique et soutenu aujourd'hui par des organisations comme l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) financée par la Fondation Rockefeller et Bill et Melinda Gates depuis 2006 ou par la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, lancée par le G8 en 2012. Si l'AGRA de veut une œuvre philanthropique, elle institue la privatisation du vivant à l'image de ce qui a été fait dans l'agriculture intensive d'Europe et des États-Unis.

Semences hybrides non reproductibles

« L'AGRA a également mis en œuvre des moyens pour aider les petites entreprises à cultiver, à reproduire et à commercialiser des semences hybrides de bonne qualité à des prix abordables pour les agriculteurs », est-il écrit sur le site de l'Alliance. Ce type de semences a la particularité d'offrir, allié à des intrants, des rendements très élevés, mais aussi celle de ne pas se reproduire à l'identique. Leur utilisation pousse donc l'agriculteur à racheter chaque année de nouvelles semences et provoque sa dépendance vis-à-vis de semenciers. Au Ghana, Dorothy Effa, directrice adjointe en charge de la planification des politiques et de la direction du budget au ministère de l'Alimentation et de l'Agriculture, a déclaré, lors d'un séminaire organisé par son administration et l'AGRA, qu'un système non protégé de développement des variétés végétales n'était pas attractif pour l'investissement et a appelé à un fort plaidoyer pour l'adoption d'une loi sur la protection des obtentions végétales au Ghana. Ainsi protégées de façon biologique et légale, « ces semences ouvriront la voie à l'industrialisation des cultures alimentaires africaines, laissant le champ libre à l'introduction et à la domination de l'agrobusiness », s'inquiète l'ONG Grain ainsi que d'autres organisations comme l'African Center for Biodiversity qui luttent pour préserver des systèmes alimentaires basés sur la biodiversité et contrôlés de façon communautaire.