L'explosion urbaine que va vivre l'Afrique est inédite et justifie une approche novatrice. En effet, d'ici 25 ans, le continent comptera 600 millions de nouveaux urbains. Aucun autre continent n'y a été confronté. L'explosion de l'urbanisation du continent africain n'est désormais plus une prévision, mais un fait qui s'accélère sous nos yeux et dont les paramètres ne font plus guère de doute.

Faut-il le rappeler, 600 millions de personnes viendront grossir les villes africaines d'ici seulement 25 ans. De fait, l'Afrique devra compter avec 1 milliard de ses enfants dans les villes en 2040. Pour mesurer l'ampleur du phénomène, il faut savoir que l'Afrique, qui comptait 54 villes millionnaires en 2013, en comptera alors plus du double. Aucun autre continent n'a été confronté à une telle explosion urbaine : l'Europe a mis des siècles pour produire une telle augmentation urbaine et même la Chine n'a pas connu un phénomène de cette ampleur en aussi peu de temps.

Plusieurs défis sont à relever

D'innombrables problèmes sont soulevés par cette explosion. En premier lieu, les infrastructures et les services publics, qui sont déjà limités et défaillants, doivent être mis à niveau et développés, qu'il s'agisse de l'adduction d'eau potable (moins de 35 % de la population urbaine y a accès aujourd'hui), de l'accès à l'électricité (aucune ville africaine n'est exempte de coupures d'électricité et de délestages), de l'existence de routes pavées ou macadamisées en bon état, de systèmes d'assainissement, de ramassage et de traitement des déchets. Les systèmes de transports collectifs ne sont pas à la mesure des besoins de mobilité, qu'il s'agisse des bus, des taxis, des métros ou de tout autre type de transport alternatif. Il s'agit aussi d'alimenter les villes en produits alimentaires, ce qui suppose le développement de productions agricoles et de systèmes de distribution performants. Il faut enfin assurer l'éducation de la jeunesse urbaine qui représente la plus grande part de cette population. Les villes sont ensuite de plus en plus vulnérables aux risques naturels (inondations, séismes, etc.) aggravés par le changement climatique, et aux risques sanitaires et sociaux. L'habitat informel, qui représente 60 % à 70 % de l'habitat urbain, est appelé à s'étendre, créant des poches de pauvreté, d'insécurité et de vulnérabilité aux maladies et aux épidémies.

Des solutions inédites sont à inventer

Personne dans le monde n'a de solution toute faite pour relever les défis auxquels est confrontée l'Afrique urbaine, car personne n'a jamais eu à faire face à des problèmes d'une telle envergure et d'une telle complexité. Aucun spécialiste des questions urbaines, aucun urbaniste, aucun planificateur, aucun ingénieur, aucun architecte, aucun responsable d'une administration locale dans le monde, n'a eu par le passé à résoudre les problèmes qui se posent à l'Afrique, aucun d'entre eux ne peut prétendre avoir l'expérience nécessaire, ainsi que le relève Lionel Zinsou. L'Afrique et les Africains vont donc devoir inventer des solutions nouvelles pour résoudre les questions qui sont posées par l'explosion urbaine et répondre aux besoins divers qu'elle suscite. Il leur revient d'analyser les situations, de poser les questions et d'imaginer des solutions innovantes pour inventer un développement urbain économiquement viable pour les budgets des collectivités, mais aussi socialement inclusif (c'est-à-dire qui ne laisse pas une large partie de la population dans la précarité et la misère) et soutenable sur le plan environnemental, en termes de pollution atmosphérique et terrestre, de gestion des ressources naturelles et d'impact sur le changement climatique.

Le numérique, une piste qui peut faire la différence

La révolution numérique offre des raisons d'espérer : à travers l'économie circulaire, la diffusion de l'accès aux énergies renouvelables, les applications digitales de l'information, des éléments de solutions se mettent en place dans les villes, dans les quartiers, surgis de l'initiative des administrations municipales, mais aussi et surtout d'acteurs de la société civile et des entreprises, parfois même de créateurs et d'inventeurs ingénieux et pourtant isolés. Ils apportent alors parfois des éléments de réponse technique, voire organisationnelle, et transforment les espaces en nouveaux lieux de vie pour toute une communauté : de fait, la ville intelligente (smart city) s'invente chaque jour et se met en place dans les pays africains, ainsi que l'attestent de nombreux exemples à Lagos, Dakar, Kinshasa ou Nairobi notamment. Des solutions innovantes se développent également et sont mises en oeuvre dans les villes des pays industrialisés et émergents, qui servent en quelque sorte de laboratoire pour l'Afrique. Les solutions qui y sont appliquées ne peuvent toutefois être dupliquées en l'état sur le continent ni prétendre être la solution définitive à la question urbaine africaine. Mais les entreprises et les spécialistes qui ont ainsi développé des expertises peuvent utilement contribuer aux solutions qui émergeront, grâce à la mise en place d'échanges d'expériences, de transferts de compétences et de partenariats ciblés.

La nécessité d'une ingénierie sur mesure initiée par les Africains eux-mêmes

Les responsables des collectivités urbaines africaines, les maires des villes et leurs administrations sont les mieux placés pour conduire et organiser la gestion du développement urbain et le déploiement d'une ingénierie sur mesure parce qu'ils sont au contact quotidien des territoires et des populations. Ils s'entourent pour cela progressivement de compétences locales, de services municipaux, d'agences d'urbanisme, d'architectes, d'ingénieurs, connaissant au plus près les attentes et possibilités. Néanmoins, face à ces enjeux, les besoins de formation sont, à la mesure des chantiers,  immenses ; ils requièrent des solutions innovantes pour les satisfaire qui passeront nécessairement pour partie par l'apprentissage à distance. La France, comme d'autres pays, peut apporter, à travers ses collectivités locales, ses urbanistes, ses architectes, ses universitaires, et ses entreprises, des expertises et des savoir-faire utiles et démontrés, s'ils savent se montrer modestes et se mettre à l'écoute des premières institutions et acteurs concernés. À l'initiative des pouvoirs publics français, Vivapolis promeut les offres françaises en matière de ville durable. Le Medef international a créé une task force ville durable qui regroupe 160 entreprises afin de mobiliser une offre française intégrée.

La nécessité de développer des échanges

Il faut aussi que se développent les échanges, les alliances, voire des partenariats entre les acteurs africains de la ville (collectivités locales, entreprises, organisations de la société civile) et leurs homologues étrangers. C'est la mission que s'est fixée AfricaFrance. En organisant le Forum partenariats France/Afrique lusophone pour une ville durable, AfricaFrance, en association avec l'Association des entrepreneurs de Luanda et la Confederaçao Empresarial dos PALOP, offre une première opportunité pour que se nouent les partenariats et les échanges qui favoriseront les solutions de demain entre les collectivités locales, les entreprises et les cabinets d'urbanisme français et angolais. En marge de ce Forum, AfricaFrance et AELuanda organisent une première rencontre entre les secrétaires généraux de l'Association internationale des maires francophones (AIMF) et de l'Union des villes capitales de langue portugaise (UCCLA) qui ouvrira le dialogue et les échanges entre les maires des villes francophones et des villes lusophones du monde entier. AfricaFrance envisage aussi de rendre plus permanents les échanges entre collectivités locales africaines et françaises à travers la création d'un cluster ville durable qui réunira de manière régulière ces collectivités et facilitera les échanges entre les maires des villes millionnaires (en habitants) comme Paris et Luanda et ceux de villes moyennes comme Bordeaux et Icolo e Bengo.

* Directeur des opérations d'AfricaFrance.