Lors des débats du Monde Afrique à Abidjan, jeudi 10 septembre. Coiffure à la Mandela et costume près du corps, Wilfried Boni, 21 ans, promoteur ivoirien d’une start-up de production de fiction radiophonique pour la sensibilisation du milieu rural, se dit heureux vendredi 11 septembre, deuxième journée des débats du « Monde Afrique » sur la croissance africaine.

Une dizaine de rencontres et de tables rondes aux thématiques ont occupé ces deux jours. Mais c’est celui sur « le rôle de la créativité africaine dans l’essor du continent » que Wilfried attendait avec impatience : un panel animé par des personnalités reconnues de la scène culturelle et artistique africaine, à l’instar de la musicienne et chanteuse malienne Rokia Traoré.

Mais c’est surtout pour rencontrer Laurence Chauvin-Buthaud, styliste franco-ivoirienne et fondatrice de la marque Laurence Airlines, que ce jeune passionné de mode africaine s’est rendu à l’hôtel Ivoire. « Je vois souvent les créations de Laurence sur Internet et j’aimerais bien la contacter et pourquoi pas faire des projets avec elle », explique Wilfried.

Roseline Kouamé, jeune avocate au barreau d’Abidjan, est venue vers 11 heures, la veille, pour participer à la première journée du festival. Elle a suivi une partie de la table ronde sur l’entreprenariat des jeunes. Mais c’est la présence du premier ministre béninois, Lionel Zinsou, qui l’a principalement motivée. « Sa nomination a suscité beaucoup d’intérêt et j’avais envie de savoir qui il était, dit-elle. Cela a été le programme le plus intéressant de la journée. Nous avons affaire à un grand homme, de culture et de valeurs. L’Afrique a besoin de s’ouvrir sur le monde, et il incarne cette ouverture. »

Lionel Zinsou a été présenté comme une « rock star » par Serge Michel, responsable éditorial du « Monde Afrique ». Cet économiste franco-béninois, à la fois éminence grise et personnalité du monde français des affaires pour avoir dirigé le premier fonds d’investissement français, PAI partners, n’a pas déçu. Interrogé par l’éditorialiste du Monde Sylvie Kauffmann, ses réponses afro-optimistes sur le développement du continent, sur le phénomène des « repats », cette diaspora africaine à laquelle il appartient aussi, et qui revient s’installer pour développer leurs pays d’origine, en a séduit plus d’un.

Pour lui, « l’Afrique a l’avantage de l’arriération », parce qu’elle s’appropriera les nouvelles technologies occidentales et les propulsera encore plus loin pour son développement. Mais les défis que doit relever le continent sont énormes. « Nous avons besoin de beaucoup plus de compétences que celles qu’on a déjà en Afrique. Ce que nous sommes en train de faire, personne ne l’a jamais fait. Et on ne va pas le faire tout seul. Nous avons aujourd’hui 500 millions d’urbains en Afrique. Dans vingt-cinq ans, il y en aura 1,3 milliard qu’il va falloir mettre dans des villes qui n’existent pas aujourd’hui… Donc on a besoin de toutes les idées ! On a besoin de s’approprier du savoir d’où qu’il vienne. De s’approprier des technologies d’où qu’elles viennent. De s’approprier des exemples. Il faut emprunter partout. Il faut s’ouvrir à tout le monde », a insisté le premier ministre béninois.

Yves Kanga, 28 ans, vient d’avoir son master en économie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké. Il a quitté Toumodi, une ville située à 180 km d’Abidjan, au centre de la Côte d’Ivoire, pour venir serrer la main du banquier d’affaires Lionel Zinsou devenu premier ministre du Bénin dix semaines plus tôt. « J’ai sauté sur cette occasion, surtout quand j’ai découvert que l’événement était ouvert gratuitement au public », se réjouit Yves.

Il n’a pas pu aborder l’économiste franco-béninois à cause du monde qui l’entourait, mais Yves Kanga a pu discuter avec Rebecca Enonchong, paneliste camerounaise invitée à la table ronde « Quel avenir pour la jeunesse entrepreneuriale africaine ? » La fondatrice de la start-up Appstech, créée aux Etats-Unis en 1999 et qui prospère en fournissant des solutions d’applications d’entreprises, lui a donné l’exemple de cette résilience propre à l’Afrique.

« Pour entreprendre, il faut être fou. Mais, pour entreprendre en Afrique, dans ces conditions difficiles, il faut être encore plus fou ! C’est justement pour cela que j’admire cette jeunesse qui reste au Cameroun et parvient à développer des applications formidables en Afrique. Nous avons cette résilience forte de l’être humain en Afrique », s’est enthousiasmée Rebecca Enonchong. L’Afrique maintient une croissance moyenne de 5 % depuis plusieurs années, mais « imaginez ce que serait la croissance africaine, si on avait l’électricité », a lancé Lionel Zinsou en citant l’ancienne ministre des finances du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala. Aujourd’hui, 621 millions d’Africains n’ont pas encore accès à la « fée électricité ».

Abidjan, ville résiliente d’Afrique de l’Ouest

Résilience des personnes et des entrepreneurs, résilience aussi des villes africaines qui doivent relever aussi de nombreux défis, dont la gestion des déchets. Abidjan, la capitale ivoirienne, en produit trois milles tonnes chaque jour pour une population de près de cinq millions d’habitants. La gestion de cette urbanisation galopante passe par la construction d’infrastructures. En ces périodes de dérèglement climatique, comment rendre les villes africaines plus durables, résilientes et intelligentes ? C’est à cette question qu’a répondu une table ronde composée d’experts et d’architectes.

Et c’est ce qui a captivé l’attention de Bohoussou Séraphin, 36 ans, enseignant chercheur en géographie qui s’intéresse aux questions de décentralisation et d’urbanisation. « Quels seront les nouvelles façons de concevoir et de construire nos villes de manière durable en respectant l’environnement ? »

Guillaume Koffi, architecte associé de Koffi & Diabaté Group et ancien président de l’ordre des architectes ivoiriens, a tenté d’y répondre : « L’architecte d’aujourd’hui doit privilégier une qualité environnementale dans les infrastructures qu’il construit. Les villes étant concernées par les changements climatiques, l’accès à l’énergie peut se faire avec les panneaux solaires. Mais cela n’est pas encore démocratisé à grande échelle. Pour l’instant, nous utilisons des moyens passifs. Nous construisons de sorte à pouvoir privilégier un éclairage naturel, une ventilation naturelle pour conserver de façon passive, un certain confort. »

Une nouvelle édition

Abidjan, a été choisie à dessein pour cette première édition des Débats du « Monde Afrique ». La Côte d’Ivoire illustre bien cette résilience africaine. Malgré une crise politique et des violences, qui ont fait près de 3 000 morts en une décennie, « la croissance économique ivoirienne, ces trois dernières années, a tablé autour de 9 %, au-dessus de la moyenne africaine », selon le premier ministre Daniel Kablan Duncan, venu clôturer les débats. « Le président Alassane Ouattara a refait les routes, dit un étudiant dans l’assemblée. Il a construit un pont sur la lagune et rénové l’université Félix Houphouet Boigny. Tout cela en moins de trois ans. Mais il reste à faire pour l’emploi des jeunes ! »Yves Kanga n’a pas encore de travail mais pense que cette initiative du « Monde Afrique » permettra de nouer des liens entre entrepreneurs et jeunes diplômés. Une nouvelle édition des débats du « Monde Afrique » est déjà en envisagée. Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a annoncé en clôture que la capitale ivoirienne abritera « l’année prochaine, dans la même période, une nouvelle édition du festival du “Monde Afrique” sur la croissance africaine. »