Un sommet « extraordinaire » ponctué par une formule de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne : « J’aurais voulu que nous soyons déjà plus ambitieux. » Juncker faisait allusion au manque de solidarité entre Européens, en partie confirmé au cours de cette rencontre tenue à Bruxelles et qui devait apporter une réponse forte aux drames survenus récemment en Méditerranée. L’Union s’est, comme souvent, contentée d’un compromis minimal.

Les Vingt-Huit s’en tirent au moins avec un résultat concret : le budget de l’opération Triton est triplé, passant de 2,9 à 9 millions d’euros mensuels. Soit un retour aux moyens consacrés antérieurement par l’Italie à Mare Nostrum, l’opération de sauvetage arrêtée en octobre 2014 parce qu’elle aurait, selon certaines capitales, facilité la tâche des passeurs en recueillant des milliers de personnes…

Plus de ressources pour Frontex

Pour l’avenir, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et la France ont déjà annoncé une participation accrue aux opérations conduites par l’agence Frontex. Paris enverra un navire patrouilleur, un remorqueur en haute mer et doublera le nombre de ses experts engagés, a indiqué le président François Hollande. Jusqu’ici, la France avait mobilisé deux bateaux et un avion dans Triton. Le mandat de l’opération n’est pas modifié mais ses possibilités d’intervention dans les sauvetages se trouvent étendues, affirment les conclusions du sommet : il fallait fixer un objectif humanitaire sans offrir aux trafiquants la certitude que les occupants de leurs bateaux seraient à chaque fois sauvés. À noter que les navires du Royaume-Uni — qui n’est pas membre de Frontex — se déplaceront où ils l’entendent dans la zone entre les côtes libyennes et italiennes.

 

Un autre objectif proposé par la Commission européenne était la saisie et la destruction des embarcations utilisées par les réseaux criminels. Il se heurte, comme prévu, aux contraintes du droit international : les Européens veulent obtenir l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies. François Hollande doit évoquer, ce vendredi, la question avec Vladimir Poutine — la Russie est l’un des membres permanents de ce Conseil — et semble convaincu qu’il peut le convaincre de ne pas opposer son veto, « à condition que nous soyons très clairs sur nos objectifs et les moyens utilisés ». Dans l’intervalle, la Haute représentante Federica Mogherini doit présenter les options pratiques d’une telle intervention.

Il reste le volet de la solidarité et, sur ce plan, on a assisté à un recul par rapport au projet de conclusions qui circulait avant le sommet. La réforme de « Dublin II », qui force l’Etat dans lequel arrive le migrant à traiter seul son dossier du début à la fin ? « Une perspective, nous allons y travailler », explique le président Hollande. Le « projet pilote » visant à accueillir 5 000 réfugiés syriens supplémentaires, répartis dans toute l’Union ? Le chiffre est oublié et une répartition ne se fera que sur une base volontaire, comme l’a exigé le premier ministre britannique David Cameron. Oubliée l’idée de « quotas » obligatoires, évoquée par l’Allemagne. François Hollande a indiqué jeudi que la France accueillerait entre « 500 à 700 » personnes. Le premier ministre italien Matteo Renzi, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le premier ministre britannique David Cameron à Bruxelles, le 23 avril.

Manque d’ambition

Le Parlement européen attendait, à l’évidence, une action plus ambitieuse. « J’ai été surpris, ce matin, par leur sentiment dominant lors d’une réunion des présidents de groupe. C’était celui de la colère », expliquait le président de l’assemblée, Martin Schulz. Habituellement modéré, le groupe conservateur du PPE lance : « Assez de mots, pas de simple séance photo, il faut des réponses concrètes. » Le groupe en appelle à une politique d’asile commune aux Vingt-Huit et à l’instauration d’un système de quotas contraignant pour répartir les réfugiés entre tous les pays. « Ce qui se déroule aujourd’hui n’est rien d’autre que la conséquence de ce que l’Europe n’a pas voulu faire », enchaîne le chef du groupe libéral et démocrate, Guy Verhofstadt. À savoir, selon lui, « appuyer une mission onusienne de stabilisation en Libye, aider l’opposition démocratique syrienne, faire de Frontex une véritable agence de protection des frontières avec une contribution obligatoire des États, développer un système de visas humanitaires qui n’obligerait pas les gens à s’en remettre à des réseaux criminels ». L’ancien premier ministre belge conclut : « Comme l’Europe a refusé d’intervenir dans son voisinage, elle affronte aujourd’hui le problème du djihadisme et celui des réfugiés. Si elle persiste, elle devra affronter d’autres drames. » Fallait-il, en réalité, convoquer ce sommet extraordinaire, sans être certain qu’il pourrait formuler une réponse qui soit vraiment à la hauteur de l’enjeu ? « La tenue du sommet ne pouvait être la réponse en soi. Nous attendons maintenant le plan pour l’immigration que la Commission annonce pour la mi-mai », explique M. Schulz.

Attendu à Strasbourg, mercredi 29 avril, le président du Conseil, Donald Tusk doit redouter un accueil peu chaleureux.

Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)