Elle est la première aujourd’hui, sera-t-elle la première demain ? L’équipe de campagne d’Hillary Clinton a annoncé, par le biais d’un e-mail diffusé dimanche 12 avril, sa candidature à l’investiture démocrate pour la prochaine présidentielle. « C'est officiel : Hillary est candidate à la présidentielle », a ainsi envoyé John Podesta, le président de sa campagne, dans un message à des donateurs. Quelques minutes après l'annonce, peut-être un peu prématurée, la campagne de Mme Clinton a diffusé une vidéo intitulée « Getting Started » (« Démarrage »). On y voit plusieurs personnes expliquer les projets qu'ils comptent lancer, que ce soit professionnel, éducatif ou personnel. Vers la fin de la vidéo, Hillary Clinton Clinton apparaît pour dire qu'elle aussi « démarre quelque chose aujourd'hui ».

« Les Américains se sont battus pour sortir d'une période économique difficile, dit-elle devant la caméra. Mais ceux qui sont au sommet continuent à bénéficier d'avantages. Les Américains ont besoin d'une championne, et je veux être cette championne ». La séquence de communication s’est conclue par un tweet dans lequel elle redit sa volonté d’être la « championne » des Américains. La désormais candidate à l’investiture démocrate partira, dans le prochain mois, à la rencontre des électeurs, selon son équipe de campagne. Son premier meeting est prevu pour le mois de mai.

« Deux présidents pour le prix d’un »

Elle pourrait donc devenir la première femme à accéder à la Maison Blanche le 20 janvier 2017, si elle surmonte tous les obstacles jusqu’à l’élection du 4 novembre 2016. En 2008, elle avait été battue par le futur premier président afro-américain, Barack Obama. Huit ans plus tard, elle sait que cette nouvelle tentative sera aussi la dernière, pour elle comme pour son clan.

Car depuis plus de quarante ans, les Clinton vont par deux. Pendant deux décennies, Hillary Clinton s’est mise au service de son mari, élu en 1976 attorney general de l’Arkansas, puis gouverneur deux ans plus tard, puis président des Etats-Unis en 1992. A partir de 2000, Bill s’est effacé derrière la sénatrice de l’Etat de New York, réélue en 2006, candidate malheureuse à la présidentielle deux ans plus tard, puis secrétaire d’Etat après le triomphe de son adversaire, Barack Obama, jusqu’en 2013. A un poste qui permettait de ménager l’avenir. D’attendre en accumulant l’expérience en même temps que les tours du monde.

Si elle l’emporte en 2016, une parité aussi exemplaire qu’exceptionnelle sera respectée. Lors de sa campagne victorieuse de 1992, le jeune gouverneur de l’Arkansas vantait les mérites de sa femme en assurant qu’en votant pour lui, les Américains auraient « deux présidents pour le prix d’un ». Vingt-quatre ans plus tard, le slogan n’a pas pris une ride.

 

Une part d’ombre

 

Celles que le temps a discrètement dessinées sur le visage de Hillary Rodham, qui n’avait pas hésité à remiser son patronyme après la première défaite essuyée par Bill Clinton en 1980, dans l’Arkansas, accompagnent sa nouvelle mue. Le 26 septembre 2014, Chelsea, la fille unique du couple, a d’ailleurs donné naissance à une petite Charlotte. Bill, Hillary et Chelsea, c’est ce trio qui dirige la fondation à laquelle l’ancien président a donné son nom, s’il fallait fournir un dernier témoignage de cette étonnante symbiose familiale.

Etre « les Clinton », c’est pouvoir rappeler à l’Amérique les décennies du baby-boom, puis quelques décennies plus tard, le bref instant de l’hyperpuissance américaine, celle de l’espérance numérique et des excédents budgétaires. C’est aussi disposer d’un magistral savoir-faire politique incarné encore aujourd’hui par l’ancien président, même s’il a lui aussi vieilli. Une science de la foule dont il avait fait ainsi la démonstration lors de la convention démocrate chargée d’adouber un laborieux Barack Obama, lors de sa campagne de réélection de 2012, suppléant sa femme contrainte à la réserve par sa fonction.

Mais être « les Clinton », c’est aussi charrier une part d’ombre : hier les affaires immobilières qui avaient pollué le premier mandat de Bill Clinton, entre deux affaires extraconjugales, aujourd’hui la controverse sur l’utilisation d’une adresse électronique et d’un serveur personnels pendant son passage au département d’Etat, qui ravive les accusations républicaines essuyées depuis vingt ans par cette femme présentée comme manipulatrice et obsédée par le secret. Etre « les Clinton », comme l’avaient raconté deux journalistes de Politico en 2014, c’est aussi garder la mémoire les trahisons, dresser la liste détaillée des alliés qui vous ont manqué, comme ce fut le cas après la défaite de 2008.

Quarante années de carrière

Cette ambivalence n’épargne pas la fondation à laquelle ils ont donné leur nom, qui a accompagné magistralement l’après-Maison Blanche de Bill Clinton, régulièrement sollicité pour se mettre au service de grandes causes, comme la tragédie provoquée par le séisme qui avait frappé Haïti en 2010. Mais cette fondation devient également un fardeau lorsqu’il s’avère qu’elle a reçu des dons de gouvernements, notamment au bénéfice d’Haïti, alors que Hillary Clinton s’était engagée à éviter tout mélange des genres lorsqu’elle dirigeait la diplomatie américaine sous la férule de Barack Obama.

Au terme de quarante années de carrière (sortie de Yale, elle avait travaillé avec l’équipe de juristes chargés de la mise en accusation du président Richard Nixon), Hillary Clinton sait qu’elle ne peut plus susciter la surprise, mais qu’elle doit montrer un horizon. Le nouvel épilogue de ses Mémoires de secrétaire d’Etat, Hard Choices (Simon & Schuster), dévoilé par le Huffington Post, évoque un des fils qu’elle pourrait s’efforcer de tirer au cours des mois à venir. Il part d’une réflexion sur l’avenir promis à sa petite-fille. Il ne faut pas, dit-elle en substance, que les petits-enfants de président des Etats-Unis et de secrétaire d’Etat deviennent les seuls, avec d’autres nantis, à pouvoir disposer d’une excellente santé et d’une excellente éducation.

 

La revendication d’une égalité d’opportunités est une façon de retourner les critiques contre une élite à laquelle elle est associée et qui est accusée de parcourir les Etats-Unis d’une côte libérale (au sens anglo-saxon) à une autre en négligeant « la ceinture de rouille » des vieux Etats industriels, ou les rudes terres conservatrices du Midwest. Elle sert d’amorce à une campagne annoncée comme consacrée à l’écoute autant qu’au discours et dont John Podesta, le dernier directeur de cabinet de Bill Clinton à la Maison Blanche, s’efforcera de conserver la cohérence. Cette femme aguerrie et complexe, froide et déterminée, n’est finalement pas la plus mal placée pour rassembler autour d’elle les morceaux du puzzle électoral qui dessine les victoires présidentielles.

   Gilles Paris (Washington, correspondant)