Editorial du « Monde ». Pendant quatre jours de suspense électoral, le Nigeria s’est fait une peur mortelle. Puis, dans un retournement dont le pays le plus peuplé d’Afrique a le secret, une élection présidentielle qui menaçait de se terminer en bain de sang s’est conclue pacifiquement. Rien de plus simple, en apparence : un président sortant a été vaincu dans les urnes.

Goodluck Jonathan, au pouvoir depuis 2010, a concédé sa défaite et félicité son rival, Muhammadu Buhari. Il a engagé ses partisans à utiliser la voie légale pour faire valoir leurs droits, là où cela se justifie, et déclaré : « J’ai promis à ce pays des élections libres et justes. J’ai tenu parole. (…) Aucune ambition personnelle ne vaut le sang d’un Nigérian. » Jamais encore un chef d’Etat élu n’avait consenti à l’alternance dans toute l’histoire du pays. Nul ne sait trop bien ce que réserve une présidence Buhari dans un Nigeria où la vie politique a rarement été exempte de violences. Mais ce qui primait, ce mardi 31 mars, jour de proclamation des résultats, c’est la série de démonstrations établie par la défaite « héroïque » du sortant, et l’espoir qu’elle reflète un vrai tournant.

D’abord, Goodluck Jonathan y a lui-même contribué en renforçant la Commission nationale électorale indépendante (INEC), qui a garanti que le processus électoral irait jusqu’au bout. Le président a perdu, mais le Nigeria a gagné. La portée des résultats dépasse le fait qu’ils évitent un bain de sang. Cette alternance signale aussi la soif qu’ont les Nigérians de voir leurs élus enfin rendre des comptes.

Ce qui a été sanctionné, c’est la gabegie, le chômage, les inégalités, les universités en ruine, l’incapacité à lutter contre la secte Boko Haram. Et l’argent fou d’une élite corrompue vivant hors sol et ne se déplaçant qu’en jet privé.

On n’achète plus si facilement les électeurs nigérians

Des sommes astronomiques avaient été distribuées pour tenter d’acheter la victoire. Mais on n’achète plus si facilement les électeurs nigérians. On ne les conduit plus en masse vers les urnes par la simple peur des violences ou la force de leurs appartenances religieuses et ethniques. Ils ont voté avec une patience admirable. Cette énergie, ce désir de peser dans les choix de la nation donnent aux démocraties fatiguées d’elles-mêmes, ailleurs dans le monde, une leçon d’espérance. Il est important qu’elle vienne d’Afrique et qu’elle ne doive rien à personne. Aucune puissance étrangère n’a dicté au Nigeria la recette de son espoir. Le pays, en 2014, a arraché à l’Afrique du Sud la première place dans le classement des économies africaines. Désormais, si M. Buhari y contribue, il pourrait faire la course à un autre niveau : celui du modèle démocratique. On objectera qu’avec 174 millions d’habitants il demeure une économie de rente, en timide voie de diversification. Mais ce serait négliger la vitesse de ses transformations, dont certaines sont attribuables à M. Jonathan.

Vus du Nigeria, en cette belle journée de résultats, comme ils paraissaient malhonnêtes, bornés, égoïstes, ces chefs d’Etat du continent qui s’accrochent au pouvoir et fuient la justice électorale. Les pays aux élections truquées, aux plébiscites délirants, aux familles régnantes, aux présidents qui « répondent à l’appel du peuple » pour ne jamais quitter le pouvoir viennent de se faire administrer une leçon par le géant d’Afrique. Pourvu qu’elle soit durable.