A moins de deux ans de la fin de son mandat, le président Ali Bongo est confronté à une défiance sans précédent. Les manifestations de l’opposition demandant ouvertement l’alternance ont fait au moins un mort. Selon les observateurs, si les causes de ces troubles sont d’abord internes, elles ont aussi une dimension extérieure indirecte mais  non négligeable.

Le départ de certains barons du PDG (Parti démocratique gabonais) au pouvoir comme Jean Ping, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président de la commission de  l’Union Africaine et  Jean Eyéghé Ndong, dernier premier ministre de feu Omar Bongo, a renforcé la contestation.

Dans les milieux d’affaires, il est aussi question d’un froid quasi-irrémédiable entre Libreville et Paris, capitale française où l’opposition gabonaise s’est réunie début décembre pour discuter de l’alternance. Le différend entre les deux partenaires porterait sur les  redressements fiscaux spectaculaires adressés à des entreprises françaises dont Total et sur l’introduction de la  concurrence dans les secteurs extractifs. Par exemple le leader mondial de l’exportation de Manganèse, Eramet via sa filiale, la Comilog, devra se frotter aux indiens MOIL (Manganese Ore India Ltd) en négociation avec le Gouvernement.

S’agissant de Total, le litige   était déjà  au menu de la rencontre entre Ali Bongo et François Hollande en avril 2014, soit deux mois après les faits.  Le  14  février 2014, le pétrolier a reçu un avis de redressement de 805 millions de dollars dont 387 millions font l’objet de redressement partiel.  Détenu à 58,28% par le groupe Total, à 25% par l’Etat gabonais et 16,75% par le public, Total Gabon a laconiquement annoncé la fin du redressement en novembre 2014 sans indiquer s’il a versé les montants réclamés. Dès sa nomination, le nouveau PDG , Patrick Pouyannée,  s’est rendu à Libreville (3 décembre) rencontrer le président Bongo.

Rupture graduelle de la paix sociale

Ce bras de fer à peine retombé, le secteur pétrolier est agité par une grève sans précédent à l’appel du puissant syndicat ONEP (Organisation nationale des employés du pétrole)  décidé à contrer les licenciements et les retenues sur salaires de divers groupes dont le français Parenco. Un autre groupe français, en l’occurrence Bolloré, opérant dans la zone portuaire d’Owendo, projette de supprimer 147 emplois. Ce licenciement économique s’expliquerait par la chute vertigineuse (de l’ordre de 50%) du chiffre d’affaires de la manutention du bois, indique-t-on chez Bolloré. Une manière de critiquer la décision du président Ali Bongo d’interdire il y a quatre ans l’exportation des billes de bois?

Au principe de concurrence introduit dans le cadre du plan Gabon émergent et à la lune de miel entre Libreville et Kigali  s’ajoute  une série de mesures comme le “bilinguisme” et l’introduction de l’anglais. Il faut dire que l’exaltation  de l’exemple rwandais (omniprésent dans les discours d’Ali Bongo) agace certaines oreilles classiques qui ne reviennent pas de la part belle accordée  aux entreprises asiatiques et marocaines  dans les grands projets au détriment des groupes français.

 

Bref, le Gabon est en train de s’affranchir du pré-carré français, ce qui en soit comporte sa part de risques.  Vu des bords de la Seine, ces hypothèses font plutôt rire. “Le président Hollande a d’autres chats à fouetter” nous lance un vieux de la françafrique qui croit savoir toutefois que les intermédiaires classiques pourraient nourrir une dent contre le locataire du Palais de Bord de Mer.   “Le président gabonais a introduit beaucoup de changements. Il lui arrive d’éconduire ceux que son père a reçu et honoré”, poursuit notre interlocuteur faisant allusion au journaliste Pierre Péan auteur d’un livre intitulé “Affaires africaines” où il prétend que le président gabonais est originaire du Biafra.

Quelque soit le degré de friction entre Ali et Paris, il serait excessif d’expliquer les agitations actuelles par la seule piste extérieure. L’exhibition du parc du président gabonais par France 24 (la chaîne qui avait annoncé sa défaite lors des présidentielles avant de se rétracter) ne va pas contribuer à ramener le calme.

Le président Ali Bongo Ondimba a pris les rênes du pays à la mort en 2009 de son père Omar, au pouvoir depuis 1967.