Les Etats qui reconnaissent la Palestine. Les Etats qui reconnaissent la Palestine.  La plupart des parlementaires PS militent pour une reconnaissance de l’Etat palestinien. Une intention de plus en plus partagée chez les Européens, comme le montre l’engagement de la Suède.

Les tensions croissantes à Jérusalem inquiètent la communauté internationale. «Si nous n’avançons pas sur le front politique, nous risquons de sombrer à nouveau dans la violence», a déclaré, vendredi dans la Ville sainte, la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini. De fait, plusieurs capitales de l’Union européenne envisagent de reconnaître la Palestine dans l’espoir de relancer le processus de paix. Et les parlementaires français s’apprêtent à voter une motion dans ce sens, à l’instar de leurs collègues britanniques.

Qui a déjà reconnu la Palestine ?

En décidant officiellement par un décret publié le 30 octobre de reconnaître la Palestine, la Suède est devenue le 135e Etat membre de l’ONU sur 193 à franchir le pas. Nombre d’entre eux (82 pays du Moyen-Orient, africains et du bloc socialiste) l’avaient fait en 1988 lors de la proclamation unilatérale de l’indépendance de la Palestine. Le Brésil et l’Argentine ont sauté le pas en 2011. Suscitant l’ire des autorités israéliennes, la ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallström, a estimé les conditions remplies - à savoir un territoire («bien que sans frontières fixes»), une population et des institutions. Et Stockholm est devenue la première capitale européenne à prendre une telle initiative. Si les pays occidentaux sont tous d’accord pour une solution à deux Etats, l’idée était jusqu’ici que la reconnaissance de la Palestine soit l’aboutissement du processus, après accord notamment sur les frontières et le statut de Jérusalem. Mais tout est bloqué, comme en témoigne l’échec en avril de la médiation américaine. Depuis la victoire républicaine au Congrès, Barack Obama se retrouve paralysé sur ce dossier. D’où une opportunité pour l’UE. «Je serai heureuse si au terme de mon mandat l’Etat de Palestine existait», a déclaré Federica Mogherini, évoquant une solution globale. «A partir du moment où la négociation serait impossible ou n’aurait pas de conclusion, il faudrait évidemment que la France prenne ses responsabilités», reconnaissait Laurent Fabius mi-octobre, tout en rappelant qu’une telle décision «doit être utile à la paix» et pas seulement «symbolique». Il sera certes difficile aux Européens de parler d’une seule voix. L’Allemagne, en raison du poids du passé, reste très prudente, mais les opinions des Vingt-Huit évoluent et Paris estime pouvoir «avoir un effet d’entraînement».

Qu’entraînerait une reconnaissance par des capitales européennes ?

On l’admet volontiers à Paris «la reconnaissance de la Palestine ne fera pas mécaniquement aboutir le processus de paix». Mais ce serait un signal important. «Un geste symboliquement fort, dont la portée politique n’est pas à sous-estimer, car la reconnaissance par une partie des Européens aura un effet de pression implicite pour aboutir à un accord sur une solution à deux Etats», souligne Alain Dieckhoff, directeur du Ceri Sciences-Po et spécialiste du Moyen-Orient. «Ce serait un symbole fort, mais cela n’est pas une panacée même si cela permettrait de remettre la politique et la diplomatie sur le devant de la scène», estime pour sa part Karim Bitar, de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Mais, très concrètement, cela ne changerait pas grand-chose. «La souveraineté, ça se proclame sur le terrain avec toute la réalité de ses attributs et non pas à l’extérieur», objecte le géopolitologue Frédéric Encel. Le tournant a été en fait l’admission de la Palestine à l’ONU comme Etat observateur. Cela lui a permis d’adhérer à des organisations internationales comme l’Unesco et pourrait lui donner l’opportunité d’adhérer à la Cour pénale internationale. Ce qui entraînerait des rétorsions de l’Etat hébreu qui craint de se voir accusé devant la justice internationale. Un décret est prêt, mais le président palestinien ne l’a pas signé, espérant obtenir en échange de sa modération un engagement plus fort des Occidentaux, et notamment des Américains, pour obtenir d’Israël une date butoir concernant un accord.

Quels sont les risques d’un tel geste ?

L’administration américaine s’inquiète de ce genre d’initiatives qu’elle juge «prématurée». Les Israéliens sont vent debout. «Ce qui nous gêne dans la démarche des Palestiniens, c’est qu’il s’agit d’une stratégie unilatérale et non l’aboutissement d’un processus de négociations. C’est mettre la charrue avant les bœufs», a déclaré le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. L’ambassadeur d’Israël en France rappelait récemment qu’une telle reconnaissance par Paris ou d’autres capitales européennes «ne résoudra rien et portera un coup sérieux aux perspectives de paix». Il craint que cela «ne durcisse les positions de chacune des parties», rendant encore plus difficiles les négociations directes, qui sont la seule solution. Les mots mêmes de la reconnaissance ont leur importance. Ainsi l’évocation explicite d’«un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem pour capitale» risque d’avoir pour premier effet concret de figer ce qui reste le point le plus sensible de la négociation. En outre, l’arme de la reconnaissance est comme un fusil à un seul coup : une fois utilisée, cette cartouche ne peut plus resservir.

Qu’envisage la France ?

Depuis une dizaine de jours, les initiatives de parlementaires de gauche se multiplient. Fin octobre au Sénat, l’écologiste Esther Benbassa puis les communistes ont déposé, chacun de leur côté, une proposition de résolution - un texte sans valeur contraignante mais à forte portée symbolique. Et les députés du Front de gauche ont interpellé le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, pour lui demander d’inscrire à l’agenda leur texte qui remonte à 2012. Les socialistes ont pris la main. Ils rappellent que la gauche, depuis le discours de Mitterrand à la Knesset en 1982, est favorable à la solution à deux Etats. Et le soutien à «la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien» figurait parmi les 60 engagements du candidat Hollande.

Une délégation de parlementaires PS a rencontré, mercredi, Laurent Fabius pour accorder leurs violons. «La majorité n’agit pas sur commande mais notre démarche est d’être utile à la paix, pas de gêner le gouvernement», décrypte Michel Issindou, président du groupe France-Palestine à l’Assemblée. «Le ministre ne nous a pas freinés, il nous a demandé d’être prudents et équilibrés dans la formulation», précise-t-il. Doit-on évoquer la question des frontières de 1967, au risque de braquer définitivement Israël, ou rester flou ? Faut-il poser des conditions à cette reconnaissance ? Chaque mot est à l’évidence soupesé. La présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée, Elisabeth Guigou, tient la plume, et un texte devrait être présenté aux parlementaires PS mercredi. Les communistes, qui militent pour la reconnaissance «sans délai et sans conditions» de l’Etat palestinien, préviennent déjà : si cette mouture est trop édulcorée, ils l’amenderont. Une proposition de résolution doit être débattue en décembre au Sénat, et au plus tard en janvier par les députés. Si un tel texte était adopté dans l’hémicycle, il n’engagerait en rien l’exécutif même s’il l’approuve. A l’Elysée comme au Quai-d’Orsay, on rappelle que «la décision appartient au Président et que c’est lui, en accord avec le gouvernement, qui va donner le tempo».

Marc SEMO et Laure EQUY