A l'Assemblée nationale à Ouagadougou, plusieurs bureaux, dont celui du président du Parlement, ont été ravagés par les flammes.A l'Assemblée nationale à Ouagadougou, plusieurs bureaux, dont celui du président du Parlement, ont été ravagés par les flammes. (Photo Issouf Sanogo. AFP) Face aux violentes manifestations, le gouvernement a dû annuler le vote d’une révision constitutionnelle controversée permettant au président Blaise Compaoré de se maintenir au pouvoir.

Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d’assaut : le Burkina Faso a plongé jeudi dans la violence, forçant le gouvernement à annuler le vote d’une révision constitutionnelle controversée qui permettrait le maintien au pouvoir du président Blaise Compaoré, l’un des hommes forts d’Afrique de l’Ouest. En pleine tourmente, le gouvernement a appelé à la mi-journée la population «au calme et à la retenue». Pour le régime en place depuis le putsch de 1987 dans ce pays sahélien très pauvre, c’est la crise la plus grave depuis l’immense vague de mutineries de 2011, qui avait fait trembler le pouvoir de Blaise Compaoré. La capitale Ouagadougou a sombré dans le chaos. Les violences ont fait au moins un mort.

A quelques centaines de mètres du domicile de François Compaoré, le frère du chef de l’Etat, un homme d’une trentaine d’années a été retrouvé mort, un trou dans la tempe, a constaté un journaliste de l’AFP. Le gouvernement a annoncé avoir «annulé le vote de la loi», prévu dans la matinée. «Le président doit tirer les conséquences» des manifestations, avait lancé peu auparavant Bénéwendé Sankara, l’un des leaders de l’opposition, qui avec d’autres avait appelé la population à «marcher sur le Parlement».

L’hémicycle mis à sac

A l’Assemblée nationale à Ouagadougou, plusieurs bureaux, dont celui du président du Parlement, ont été ravagés par les flammes. L’hémicycle, mis à sac, semblait encore épargné par l’incendie à 11 heures (locales et GMT), a constaté un correspondant de l’AFP. D’épaisses fumées noires sortaient par les fenêtres brisées du Parlement. Auparavant, plus d’un millier de manifestants ont réussi à pénétrer dans le bâtiment et l’ont saccagé. Une vingtaine de voitures ont été incendiées, du matériel informatique a été pillé et des documents brûlés. Mamadou Kadré, un député de l’opposition, a affirmé que ses collègues de la majorité - qui avaient passé la nuit dans un hôtel voisin - ont été exfiltrés, sans plus de précision.

Les forces de l’ordre ont tenté de stopper les manifestants en tirant des gaz lacrymogènes, puis ont battu en retraite. Les manifestants, des jeunes extrêmement remontés, criaient à tue-tête «Libérez Kosyam», le nom du palais présidentiel. Et plusieurs centaines de personnes sont entrées dans les locaux de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), où ils ont pillé le matériel, caméras incluses, et cassé des voitures. Les manifestants sont repartis sans avoir pu pénétrer dans les studios de la RTB.

Le projet de loi qui a mis le feu aux poudres vise à porter de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Arrivé aux affaires il y a 27 ans, le président Compaoré devait achever l’an prochain son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015). Lui qui a déjà modifié deux fois l’article 37, en 1997 puis en 2000, pour se maintenir au pouvoir, défend la stricte légalité de sa démarche pour cette troisième retouche.

Mais l’opposition craint que ce nouveau changement, qui ne devrait pas être rétroactif, conduise le chef de l’Etat, déjà élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir. Et les opposants se prennent à rêver de chasser Blaise Compaoré du pouvoir. «Le 30 octobre, c’est le printemps noir au Burkina Faso, à l’image du printemps arabe», lançait mercredi Emile Pargui Paré, ex-candidat à la présidentielle et cadre d’un influent parti d’opposition, évoquant une «prise de la Bastille».

«Printemps noir»

La tension n’a cessé de monter depuis l’annonce du projet de loi la semaine dernière. Mardi, des centaines de milliers de personnes - un million, selon l’opposition - étaient descendus dans la rue à Ouagadougou pour dénoncer un «coup d’Etat constitutionnel». La manifestation monstre s’était achevée par des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre. Si les trois quarts des députés se prononçaient pour le projet de loi, il passerait directement par voie parlementaire, sans recours au référendum longtemps évoqué par le pouvoir.

Un tel mode de révision ferait de nombreux mécontents au sein de la jeunesse. Quelque 60% des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant que Blaise Compaoré. Le projet de révision et les tensions qu’il suscite inquiètent les partenaires du «pays des hommes intègres» (Burkina Faso, en langues locales) qui joue un rôle-clé dans la zone sahélienne, en proie aux menées de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda.

L’Union européenne a appelé à l’abandon du projet de révision, dénonçant «tout ce qui risque d’affecter ou de remettre en cause la stabilité, le développement équitable et les progrès vers la démocratie». Les Etats-Unis se sont dit «inquiets de l’esprit et des intentions de ce projet de loi». Sur le continent africain, les développements de la crise burkinabè sont suivis de près, alors qu’au moins quatre chefs d’Etat préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles similaires pour se maintenir au pouvoir, au Congo Brazzaville, au Burundi, en République démocratique du Congo et au Bénin.

AFP