La fuite des cerveaux vers l'Occident est souvent considérée comme l'un des obstacles au développement du continent africain. Le Rwanda n'y échappe pas, mais a toutefois trouvé une parade : inciter la diaspora à rentrer au bercail. Et ça marche ! Alors qu'au cours de leur histoire les Rwandais ont, souvent malgré eux, été obligés d'aller vivre dans les pays voisins tels que l'Ouganda, le Congo, le Burundi, la Tanzanie, ou en Europe, la Belgique ou la France, ils reviennent petit à petit au pays. Élevés à l'étranger, tout en ayant cultivé un certain lien avec leur terre d'origine, ces Rwandais - âgés de 20 à 40 ans - ont à coeur de se retrousser les manches pour participer à la reconstruction du pays de leurs parents, meurtri par des années de guerre et de génocide.

La diaspora peut profiter des mesures incitatives du gouvernement

Ce retour est vivement encouragé par le gouvernement notamment via le programme Come and See (viens et vois). L'idée : offrir un aller-retour tous frais payés aux Rwandais de l'étranger et leur montrer, pendant trois semaines, le meilleur du pays pour lever leurs réticences à rejoindre la mère patrie. "Si j'ai eu très tôt conscience de venir "d'ailleurs" et si beaucoup de mes amis y sont retournés à partir de 1996, j'ai longtemps pensé que le Rwanda n'était pas pour moi", confie Nelly Nkunda, attablée dans un café chic du quartier de Kimihurura, à Kigali. Cette native de Bruxelles décide toutefois de participer au programme en 2011. Visite de ministères, participation au Conseil de dialogue national, recueillement sur les lieux de mémoire du génocide, passage par un camp de démobilisation militaire, découverte de Kigali, de ses routes asphaltées et de ses gratte-ciel qui sortent de terre chaque jour... Le Rwanda vend du rêve, Nelly a succombé. "J'ai vu et j'ai aimé ce que j'ai vu. Je me suis rendu compte que le train était en marche et je me suis demandé : est-ce que je le regarde passer ou est-ce que je saute dedans ?"

Comme elle, Sandrine Umutoni a choisi la deuxième option. Après une première vie itinérante entre le Congo, la France, le Rwanda et les États-Unis, cette trentenaire a posé ses valises à Kigali en 2012. "Je vivais à Atlanta depuis onze ans et je me rendais compte que le Rwanda était en train de changer sans moi ! J'ai eu peur d'être laissée de côté", confie celle qui travaille aujourd'hui pour la promotion de la culture rwandaise. "J'ai eu envie de prouver que j'appartenais au pays et pouvais lui apporter quelque chose", dit-elle.

Des opportunités, oui, mais un chemin de l'entrepreneuriat pas si évident

Au-delà de l'envie de participer à la dynamique de reconstruction, certains de ces jeunes bardés de diplômes obtenus dans de grandes écoles ou universités occidentales se félicitent aussi des opportunités professionnelles qui leur sont offertes une fois sur place. "Contrairement à l'Europe, ici, tout est à faire", explique Candy Basomingera, 33 ans, cofondateur de la marque de maroquinerie Haute Rwanda. "On est considéré, on arrive avec des compétences que d'autres n'ont pas. C'est plus facile de créer quelque chose, de laisser une trace", poursuit-elle. De retour au Rwanda, nombreux sont les jeunes de la diaspora à mûrir un projet d'entreprise, quand ils ne se sont pas déjà jetés à l'eau, à l'instar de Jean-Philippe Kayobotsi. Arrivé en 2009 dans le giron de la Banque africaine de développement, ce grand métis de 39 ans, né en Belgique et titillé depuis toujours par l'entrepreneuriat, a monté trois ans plus tard la première boulangerie-pâtisserie-coffee shop du pays. "Mais attention, prévient-il, ce fut loin d'être une partie de plaisir.De quoi relativiser le conte de fées : "La création d'une entreprise en elle-même est très facile, mais tout le reste est compliqué", explique-t-il. "Les taux d'emprunt sont de l'ordre de 20 % et les banques sont extrêmement frileuses. Vous pouvez avoir le meilleur business plan du monde, si vous n'avez pas de garanties concrètes à faire valoir, cela ne sert à rien", poursuit-il. À cela se sont ajoutées les difficultés à trouver des matières premières de qualité et à former une équipe de pâtissiers dans un pays où la culture culinaire professionnelle est balbutiante. Une fois ces obstacles franchis, il lui a resté à trouver une clientèle prête à payer son croissant trois fois plus cher qu'ailleurs, alors que 45 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour autant, Jean-Philippe Kayobotsi ne regrette rien. "Il est vrai qu'au Kenya le concept marcherait mieux, mais choisir de monter son affaire ici, c'est faire un vrai pari sur l'avenir du pays", ajoute-t-il fièrement.

Patience, sacrifices et capacité d'anticipation sont de mise

Pour cette génération qui a grandi en Europe et est habituée à "tout, maintenant, tout de suite", il faut donc faire preuve de patience et consentir quelques sacrifices, notamment sur le salaire. Pour décrocher un premier poste de business analyste dans une compagnie de construction à Kigali, Nelly Nkunda a ainsi dû diviser ses prétentions salariales par deux. "C'est le genre de détails qu'il ne faut pas négliger, d'autant qu'ici la vie est chère : le prix de l'essence est quasiment le même qu'en Europe", explique-t-elle. "Certains jeunes de la diaspora décident de tout quitter pour rentrer au Rwanda sans avoir conscience de ces aspects et ils déchantent vite", ajoute-t-elle.

Un effet d'entraînement familial

Mais quand leur expérience est concluante, ils finissent souvent par entraîner dans leur sillage tout ou partie de leur famille. La soeur de Nelly, celle de Sandrine, le frère de Candy... Séduits par la "qualité de vie" trouvée par leurs aînés, ils ont, eux aussi, décidé de tenter leur chance au Rwanda. Natacha Raynaud, Franco-Rwandaise de 30 ans, attend de son côté le retour de sa mère. "Elle a d'ores et déjà refait ses papiers et doit me rejoindre bientôt. Nous aimerions monter une affaire ensemble", dit-elle.

Mais, pour les parents de ces jeunes, qui ont souvent connu l'horreur, ce retour au pays n'est pas toujours une évidence. "Mon père a été tué pendant le génocide, c'est donc très difficile pour ma mère de venir, ne serait-ce que pour me rendre visite, car elle a encore en mémoire les images et les odeurs", explique Aimé Abizera, jeune Parisien de 25 ans, fraîchement installé à Kigali. "Pour notre génération, c'est différent, il n'y a pas vraiment de barrières", poursuit-il. Et c'est bien cette innocence, propre à ceux qui ont peu ou pas connu le génocide, qui pourrait aider le pays des Mille-Collines à tourner petit à petit cette sombre page de son histoire.