A 1 heure du matin, dimanche 20 juillet, l'armée israélienne est entrée dans le quartier de Chadjaiya, considéré comme l'un des bastions du Hamas dans la ville de Gaza. L'opération terrestre, la première menée en zone urbaine, avait été annoncée par des tracts largués par avion, intimant l'ordre aux habitants d'évacuer.

L'information a permis aux combattants du mouvement islamiste de se préparer à l'arrivée des soldats. Selon les médias israéliens, un véhicule blindé léger de l'armée israélienne, avec à son bord sept soldats de la 13e unité de Golani, se serait arrêté à l'entrée du quartier, pour une raison inconnue. Une panne pourrait avoir forcé les soldats à descendre du véhicule, qui a alors été touché par un missile antichar. Le blindé a pris feu.

Dans la journée, le Hamas a revendiqué l'enlèvement de l'un des sept militaires, donnant son nom et son matricule. « Au peuple d'Israël, nous vous disons que votre gouvernement est responsable du sang versé par ces soldats. Shaul Oron est entre nos mains », a déclaré Hossam Badran, un responsable du mouvement dans un clip vidéo tourné en hébreu. L'annonce de cette capture a donné lieu à des célébrations dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.

ORON SHAUL DÉCLARÉ « DISPARU »

L'information a d'abord été démentie par Tsahal, qui a précisé que des tests ADN étaient en cours au sein du département de médecine légale d'Abou Kabir pour identifier les soldats à partir des restes de corps retrouvés sur la scène de l'attaque. Les combattants du Hamas pourraient avoir récupéré les plaques d'immatriculation du soldat.

Il avait fallu plusieurs heures à des équipes militaires venues en renfort pour récupérer le véhicule et fouiller la scène de l'attaque. Selon, un ancien soldat, qui tient à rester anonyme, l'attaque des combattants palestiniens contre le blindé, intervenue à la première heure de l'incursion, a pu avoir une influence directe sur l'ampleur et la dureté de l'opération.

« Souvent, quand un incident arrive à une unité – qu'elle se retrouve bloquée ou qu'elle a été attaquée, et qu'il faut ramener les blessés ou les corps –, l'aviation et l'artillerie bombardent et arrosent les environs afin de neutraliser au maximum l'ennemi pour pouvoir couvrir et organiser la retraite. » Un élément qui pourrait en partie expliquer la violence des frappes sur Chardjaiya, et le bilan, très lourd : plus d'une centaine de victimes.

Si les corps de six des soldats ont pu être identifiés, les analyses n'ont toujours pas permis d'identifier la dépouille d'Oron Shaul, un sergent de 21 ans.

Face à l'impossibilité de confirmer sa mort, l'administration militaire l'a déclaré, mardi 22 juillet, « disparu », selon les règles en usage. Au sein de l'armée, on indique avoir de fortes raisons de penser que le soldat est mort dans l'attaque. Une confirmation ne pourra être donnée que sur la base de solides preuves.

 

En dépit des présomptions de l'armée, des interrogations se font jour autour du sort d'Oron Shaul, alimentées par les déclarations du Hamas. Certains évoquent la possibilité que le soldat ait été hors du véhicule au moment de l'attaque. D'autres suggèrent que le Hamas puisse être en possession d'une partie de la dépouille. La famille d'Oron Shaul a déclaré qu'elle le considérait vivant tant qu'aucune preuve de sa mort n'aura été apportée.

UNE VICTOIRE POUR LE MOUVEMENT PALESTINIEN

Pour le Hamas, la capture d'Oron Shaul, mort ou vif, serait une victoire et un moyen de pression pour obtenir de Tel-Aviv des compensations : « Israël devra compenser les Palestiniens pour chaque élément d'information concernant le sort du soldat », a indiqué le député Mouchir Al-Misri. Le mouvement pourrait notamment utiliser cette carte pour forcer Israël à relâcher, dans le cadre d'un accord de cessez-le-feu, 56 Palestiniens qui avaient été libérés dans le cadre de l'accord Shalit, en 2011, et ont été réarrêtés en juin.

Plus de 150 combattants palestiniens auraient été par ailleurs capturés, selon l'armée israélienne, depuis le début de l'opération Bordure protectrice, lancée le 8 juillet. En outre, la libération des 5 000 prisonniers palestiniens détenus en Israël est l'une des principales demandes au sein de la société palestinienne.

Le Hamas sait l'effet traumatisant qu'exerce la capture de soldats sur la société israélienne et en a fait un de ses moyens de lutte contre l'Etat hébreu. Lors d'une infiltration repoussée près du kibboutz d'Ein Shlosha, près de la frontière avec Gaza, la semaine dernière, l'armée israélienne dit avoir retrouvé des menottes et des sédatifs dans l'arsenal laissé par les combattants palestiniens, en fuite.

Les autorités israéliennes n'ont en effet jusqu'à présent ménagé aucun effort pour obtenir la libération ou la restitution des dépouilles de leurs soldats. L'enlèvement du soldat Gilad Shalit, en juin 2006 à la frontière avec la bande de Gaza par des combattants palestiniens infiltrés par un tunnel, a donné lieu à un important déploiement de forces pour le retrouver sur le terrain. Sa libération a finalement été obtenue en 2011 contre celle de 1 027 prisonniers palestiniens.

Des échanges ont également eu lieu à plusieurs reprises pour récupérer les dépouilles de soldats. Un scénario identique à celui de la bataille de Chadjaiya avait eu lieu en septembre 1997. Pris dans une embuscade au cœur du Liban, un commando de marines israéliens avait perdu douze hommes et l'équipe de sauvetage, opérant sous le feu, avait dû abandonner un corps et les parties de corps d'autres soldats sur le terrain d'opération.

La dépouille du sergent Itamar Iliya et les restes d'autres militaires avaient été rendus à Israël en juin 1998 en échange du corps de Hadi Nasrallah, le fils du chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah.

En 2004, Israël avait également récupéré la dépouille d'Avi Avitan, pris dans une embuscade tendue par le Hezbollah à la frontière libanaise en 2000, ainsi que celles de deux autres soldats et du prisonnier israélien Elhanan Tannebaum, en vie, en échange de 400 prisonniers palestiniens et 30 Libanais.

 

En juillet 2006, deux militaires de réserve, Eldad Regev et Udi Goldwasser, ont été capturés à leur tour dans une embuscade du Hezbollah, un événement qui déclencha la seconde guerre du Liban. Le Hezbollah a refusé de communiquer sur leur sort jusqu'à l'échange de leurs dépouilles, en juillet 2008, contre plus d'une centaine de prisonniers, dont quatre combattants du Hezbollah capturés pendant le conflit, et de Samir Kuntar, un activiste libanais purgeant depuis 30 ans une peine de prison à perpétuité, suite à l'enlèvement et au meurtre d'un homme et de sa petite fille.

PAS DE CHANGEMENT STRATÉGIQUE

En Israël, les médias sont restés très discrets sur la disparition d'Oron Shaul et les autorités refusent de communiquer davantage tant que de nouveaux éléments n'auront été apportés. L'ancien responsable de l'unité des soldats « disparus », le colonel Lior Lotan, a indiqué au quotidien Times of Israel que les plans stratégiques de l'armée ne changeraient pas à la suite de l'annonce de la disparition du soldat Shaul.

La chaîne de télévision saoudienne Al-Arabiya affirme qu'Israël a demandé à l'Allemagne de l'aider à le retrouver. Les services de renseignements allemands ayant été partie prenante, en tant que médiateur, dans l'accord Shalit. La libération du soldat Shalit, obtenue au prix fort pour Israël, a suscité un débat sur l'opportunité de libérer des prisonniers palestiniens en échange de militaires israéliens.

Ce débat a été relancé à la suite de l'échec d'un nouveau round de négociations avec l'Autorité palestinienne, sous égide américaine, de novembre 2013 à avril 2014. La députée Ayelet Shaked, du parti d'extrême droite religieux Foyer juif, a déposé un projet de loi pour autoriser les juges à inscrire dans leur verdict l'interdiction de grâce présidentielle pour une personne condamnée pour des actes terroristes. Cette disposition vise délibérément à empêcher que ces personnes soient échangées contre des soldats israéliens capturés ou dans le cadre de négociations.

L'état d'esprit des familles et du public israélien sera déterminant sur les choix politiques qui seront faits dans l'éventualité où le Hamas détiendrait le soldat Shaul. En 2006, les familles des soldats Regev et Goldwasser, ainsi que la famille Shalit, ont exercé une énorme pression sur le gouvernement israélien via une campagne de relations publiques dans le pays et auprès de la communauté internationale, pour qu'il œuvre à leur libération. Certains politiques exigent désormais que cette question soit gérée de façon plus rationnelle, hors de toute pression, pour ne pas céder à un nouveau chantage du Hamas.

La disparition du soldat Shaul, et la mort de six autres soldats, a par ailleurs suscité un autre débat dans les rangs de l'armée. Trente réservistes ont refusé d'entrer dans la bande de Gaza à bord de blindés légers du type de celui attaqué à Chardjaiya, a rapporté mercredi la chaîne de télévision 10. Ces véhicules, de type M113, un vieux modèle américain ayant servi au temps de la guerre du Vietnam, sont jugés vulnérables et désormais inadaptés face à l'utilisation récente de missiles antichars par les combattants palestiniens.