Le conflit israélo--palestinien est monté d'un cran avec l'invasion de Gaza par Tsahal. Alors que les extrémistes de chaque bord soufflent sur les braises, le risque est grand, pour le Hamas et le Fatah, de tomber dans le piège de la division.

"S'il n'y a pas de cessez-le-feu, il y aura le feu", avait menacé Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, le 15 juillet. Quarante-huit heures plus tard, Tsahal lançait ses chars à l'assaut de la bande de Gaza, déjà embrasée par dix jours de bombardements navals et aériens. Le 22 juillet, le bilan s'établissait à 583 morts et plus de 1 600 blessés côté palestinien, contre 26 morts israéliens, tués lors des affrontements contre le parti islamiste au pouvoir à Gaza et que le gouvernement israélien est résolu à désarmer.

À quelques heures de l'invasion, des hauts responsables israéliens avaient pourtant déclaré que les négociations en cours allaient aboutir et qu'un accord de cessez-le-feu avait été trouvé. Des propos aussitôt démentis par la partie gazaouie, pour qui le texte proposé par l'Égypte revenait à un acte de reddition...

En réalité, la décision de l'attaque terrestre avait été prise le 15 juillet, lors de la réunion du cabinet ministériel de sécurité, quelques minutes après la déclaration incendiaire de Netanyahou. De son côté, le Hamas avait averti, fin juin, que "toute escalade ou guerre ouvrirait [à l'État hébreu] les portes de l'enfer".

Terreur

Combien d'autres familles de Palestine et d'Israël cette énième opération, baptisée Bordure protectrice, va-t-elle plonger dans le deuil ? Symboles déchirants de cette violence absurde, ces portraits souriants d'enfants qui envahissent les réseaux sociaux pour rappeler les vies qui ont été fauchées, ces photos de petits cadavres désarticulés qui ensanglantent les unes de la presse internationale.

Mais des trois jeunes colons israéliens exécutés en Cisjordanie le 12 juin et de l'adolescent arabe brûlé vif le 1er juillet en Israël en guise de vengeance il n'est plus vraiment question. Les poudres ont pris feu, et les populations renouent avec le cycle incessant de la terreur et de la guerre. À Gaza, vaste prison à ciel ouvert peuplée de 1,7 million d'habitants, les Palestiniens n'ont ni refuge pour se protéger des missiles israéliens ni porte de sortie pour les fuir.

À Sdérot, Ashkelon et jusqu'à Tel-Aviv, les Israéliens vivent dans l'angoisse des roquettes qui pleuvent, prêts à chaque instant à se terrer dans les abris antibombes malgré l'efficacité du Dôme de fer, le système de défense ultrasophistiqué qui les protège des missiles.

Tout ça pour quoi ? Les précédentes opérations israéliennes, de Pluies d'été en 2006 à Pilier de défense en 2012, n'ont jamais atteint leur objectif d'anéantir les capacités militaires du Hamas et des autres factions gazaouies. Au contraire, le parti islamiste est à chaque fois sorti renforcé de ces affrontements, confirmant sa légitimité de porte-étendard de la résistance au sionisme, évaluant les nouvelles tactiques de son ennemi et reconstituant des arsenaux toujours plus importants.

 

Mais les salves de roquettes que le Hamas fait tomber sur Israël ne lui ont jamais permis d'obtenir sa première revendication : la levée du blocus qui asphyxie la population gazaouie depuis de trop nombreuses années.

Otage

"OEil pour oeil et nous deviendrons tous aveugles", se désole Ofer Bronchtein, ancien conseiller de l'ex-Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et président du Forum international pour la paix (lire sa tribune ci-contre). Les plus radicaux du Hamas ne jurent que par la destruction d'Israël, tandis que les extrêmes de la droite israélienne au pouvoir exigent l'anéantissement des groupes armés de Gaza et, pour certains d'entre eux, la réoccupation définitive de cette mince bande de terre évacuée en 2005.

De part et d'autre, les opinions se radicalisent et les voix de la paix peinent plus que jamais à se faire entendre. Le gouvernement israélien a-t-il été forcé à la guerre par ses éléments les plus durs ? "L'extrême droite gouverne avec Netanyahou en vertu d'une alliance qu'il a lui-même voulue. S'il est otage, il ne l'est que de lui-même. Il lui a aussi fallu prendre en compte le déferlement de haine et d'appels à la vengeance qui a traversé la population.

Et si les extrêmes ont le vent en poupe en Israël, c'est bien parce que son parti, le Likoud, les a légitimés et qu'il a discrédité le processus de paix", commente Julien Salingue, spécialiste du mouvement national palestinien. Pour l'universitaire, le Hamas n'avait quant à lui aucun intérêt à la confrontation, alors que la réconciliation avec le Fatah, au pouvoir en Cisjordanie, pouvait enfin aboutir après des années d'échec.

"Mais après l'assassinat de sept militants de sa branche armée, le 7 juillet, il aurait été impossible pour le Hamas de justifier une position passive, et il s'agissait aussi de ne pas se laisser déborder sur le terrain de la résistance par les autres mouvements gazaouis", analyse-t-il. Entraînés presque malgré eux dans cette spirale infernale, les deux camps n'en conservent pas moins des objectifs stratégiques. Le Hamas a d'ores et déjà prouvé ses capacités militaires accrues en envoyant de nouveaux missiles à longue portée sur Tel-Aviv, Haïfa et la centrale nucléaire de Dimona.

En Israël, bien que les plus agressifs des faucons souhaitent l'anéantissement du Hamas et de toutes les capacités militaires gazaouies, les autorités récusent ce projet, qui nécessiterait plusieurs mois d'occupation pour livrer in fine le pouvoir à des factions concurrentes et bien plus virulentes que le parti de Khaled Mechaal.

Menace

Depuis toujours hostile - sans le dire - à la solution de deux États séparés, Netanyahou a fini par avouer, le 11 juillet, qu'il s'opposerait à jamais à une indépendance de la Palestine, dévoilant peut-être l'objectif de cette attaque : "Il ne peut pas y avoir quelque accord que ce soit par lequel nous renoncerions au contrôle sécuritaire des territoires à l'ouest du Jourdain."

La réconciliation qui se scellait entre le Hamas et le Fatah représentait à cet égard une lourde menace, donnant aux Palestiniens une voix unique et à leur gouvernement une légitimité incontestable sur le terrain diplomatique. "Une autorité unique serait totalement contraire aux intérêts d'Israël, et les Palestiniens ne pourront jamais réaliser ce que refuse Israël. Ce processus de réconciliation déjà fragile est maintenant enterré", explique Leïla Seurat, qui vient d'achever une thèse sur la politique extérieure du Hamas.

Et Majed Bamya, premier secrétaire au ministère palestinien des Affaires étrangères, de conclure : "Notre unité s'est construite pour défendre les droits de notre peuple, alors que la coalition israélienne est fondée sur la violation du droit, sur la poursuite de l'occupation et sur l'oppression. Nous ne devons pas tomber dans le piège israélien de la division."